Par Un travailleur du métro de São Paulo

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Travailler dans le métro de São Paulo un jour normal est déjà risqué et stressant. Nous sommes debout pendant de longues heures et nous nous occupons quotidiennement de milliers de personnes qui passent dans les stations. Le risque d’avoir un accident ou d’être agressé est constant. Mais rien n’est comparable à ces jours de pandémie. Je n’ai jamais attendu une pause avec autant d’impatience et je n’ai jamais été aussi réticent à retourner à mon poste. Mes collègues ont peur – et à juste titre, car malgré la diminution radicale du nombre de passagers ces derniers jours, le risque d’être infecté par le coronavirus est très élevé. Beaucoup considèrent déjà comme acquis qu’ils vont être contaminés, ils ignorent seulement quand.

Le métro de São Paulo est l’un des plus fréquentés au monde, puisqu’il transporte, en moyenne, 5,3 millions de passagers par jour. Mais depuis que l’Organisation mondiale de la santé a classé le Covid-19 comme une pandémie, ce chiffre a chuté de façon spectaculaire. Dans la station où je travaille, les heures de pointe n’existent plus et, d’après ce que j’ai entendu de mes collègues sur d’autres lignes, la situation est la même dans les autres gares. Nous plaisantons entre nous en disant que désormais chaque jour est un dimanche. Cela nous soulage également, parce que cela indique que les gens sont plus nombreux à rester chez eux, ce qui empêche la circulation du virus.

En outre, nous avons modifié nos habitudes de travail afin d’accroître notre sécurité, par exemple en laissant les portillons ouverts en permanence afin de ne pas avoir à les ouvrir à chaque fois. Nous évitons également d’approcher les passagers chaque fois que nous devons les libérer d’un tourniquet, en les invitant à passer par le portillon. Les barrières métalliques[1], qui servaient autrefois à organiser la foule et à rendre plus difficile la fraude (les usagers qui entrent sans payer), servent maintenant à isoler notre zone de travail, en gardant une distance de sécurité avec les usagers. Enfin, nous avons supprimé des tâches qui nous laissaient plus exposés, comme celles de travailler sur les quais. Tout cela sans le consentement de la direction, évidemment, qui tolère tout au plus nos interventions en raison du caractère exceptionnel de la situation.

Malgré cela, nous sommes toujours exposés à la contagion. Les équipements de travail (talkie-walkies, clés, cartes magnétiques et ordinateurs) sont partagés par tous – et nous n’avons aucun moyen de les nettoyer à chaque utilisation. Jusqu’à la semaine dernière, nous utilisions un gel périmé pour nous désinfecter les mains et jusqu’à présent, nous ne disposons pas d’assez de gants ou de masques pour tout le monde. Les travailleurs des guichets externalisés n’ont reçu ni gel ni gants, ce qui les expose à un risque imminent de contamination, puisqu’ils manipulent des billets et des espèces toute la journée et ne peuvent quitter leurs cabines pour se laver les mains aussi souvent que nécessaire.

Vendredi 20 mars, les salariés de plus de 60 ans travaillaient encore normalement, avec un risque sérieux de décès. Cette semaine, nous avons également pris connaissance des premiers cas confirmés d’employés contaminés, ce qui nous a rendus encore plus inquiets. C’est seulement le samedi 21 mars que le syndicat des travailleurs du métro a obtenu du tribunal une injonction garantissant le séjour à domicile et préservant tous les droits des travailleurs qui appartiennent aux groupes à risque (personnes âgées de 60 ans ou plus ; individus ayant de l’hypertension ; personnes cardiaques, asthmatiques et souffrant de problèmes rénaux ; fumeurs souffrant d’une déficience respiratoire et immunitaire). Le tribunal a obligé la direction du métro de São Paulo à fournir des équipements de protection individuelle adéquats, tels que masques, gants et gel hydro-alcoolisé, y compris pour les travailleurs sous-traitants.

Chez les collègues, le sentiment est que rien ne va plus et que nous sommes livrés à nous-mêmes. Si nous parlons, ils ne nous écoutent pas. S’ils nous écoutent, ils font semblant de ne pas nous comprendre. Chaque train qui passe a une odeur de mort. Et tout continue, comme si de rien n’était.

Même avec l’absence de nombreux collègues qui restent à la maison, le métro continue de fonctionner normalement et, jusqu’à présent, la direction n’a élaboré aucun plan de réduction des services. Je pense qu’en l’état actuel, le métro ne peut garantir ni la sécurité des passagers ni celle des employés. Garder le métro ouvert dans ces conditions est irresponsable, car nous contribuons activement à la propagation du virus. Il est urgent de mettre en place un plan de réduction du trafic pour ne répondre qu’aux besoins essentiels et garantir la sécurité de tous.

Au moment où j’écris ces lignes, l’Union des travailleurs du métro de l’Etat du Minas Gerais vient d’annoncer une grève qui débutera le 23 mars. Je pense que, compte tenu de la situation actuelle, si le métro de São Paulo ne présente pas de plan d’urgence, nous devrons suivre l’exemple de nos collègues du Minas Gerais. Nous ne pouvons continuer à être un vecteur de transmission du coronavirus et ne rien faire. Nous devons assumer la responsabilité de la vie des travailleurs, nous ne pouvons ignorer la catastrophe qui s’annonce.

Note

[1] Qui ressemblent plutôt à des cages comme en témoigne l’image placée en tête de cet article (NdT).

Traduit par Ni patrie ni frontières

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