Par Passa Palavra

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Il y a plus d’une semaine, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré qu’il existait désormais une pandémie mondiale due à la propagation du nouveau Coronavirus. Ce virus représente une menace pour les gouvernements, les économies et surtout pour les travailleurs, qui constituent la majorité de la population mondiale. Son grand risque est dû à la combinaison d’un taux de létalité considérable, d’une moyenne mondiale de 3,6 %[1] et d’un taux de contagion important – une étude préliminaire en Chine a indiqué qu’une seule personne infectée peut transmettre le virus à deux personnes en moyenne, d’autres estimations faisant état d’un nombre proche de quatre.

Ce virus peut infecter la grande majorité de la population mondiale, en particulier les populations urbaines, et certains chefs d’État considèrent déjà comme très probable que la majorité de la population de leur pays sera infectée à long terme. En d’autres termes, il existe un potentiel de dizaines de millions de décès dans un laps de temps relativement court, en dehors des séquelles médicales individuelles, des conséquences économiques collatérales et des effets sur les systèmes de santé.

Dans le cas du Brésil, la Fondation Getulio Vargas[2] estime actuellement que, dans le pire des cas, le Brésil connaîtra une baisse de 4,4 % de son PIB. Rien que dans l’État de São Paulo, la projection la plus prudente du gouvernement concernant le nombre de personnes infectées est de 1% de la population totale, donc environ 460 000 personnes, soit plus que le nombre de personnes infectées dans le monde aujourd’hui. Nous vivons donc une grave crise mondiale et un scénario qui revêtira de nombreuses formes atypiques sur une période de plusieurs décennies.

Nous ne pouvons compter uniquement sur l’action des gouvernements pour résoudre cette crise dans la classe ouvrière. Les autorités hésitent à prendre des mesures de quarantaine plus drastiques en raison du dilemme économique en jeu, un scénario dans lequel les patrons ne peuvent que parier sur les moyens de réduire leurs pertes, qui seront importantes et certaines. Samedi 21 mars, le gouvernement de l’État de São Paulo a décrété une quarantaine pour une période de 15 jours à partir du 24 mars, fermant les commerces, mais permettant aux entreprises de télémarketing de poursuivre leurs activités, ce qui constitue un grave problème non seulement pour les travailleurs de ces entreprises mais aussi pour la santé publique en général. La continuation des activités d’une société de télémarketing en Corée du Sud a entraîné une aggravation de la situation dans ce pays, alors que le nombre de cas était en baisse.

Un autre problème se pose à l’heure actuelle : l’impossibilité d’appliquer massivement les tests de dépistage du virus, car ils sont rares. Cette mesure est pourtant considérée comme essentielle par l’OMS pour contenir la pandémie, car on ne peut contrôler que ce que l’on peur tracer. L’exemple des pays qui ont le mieux réussi à contenir l’épidémie au sein de leurs frontières le montre. Une étude récente souligne que l’explosion du nombre de personnes infectées en Chine s’est produite à cause de la circulation de patients asymptomatiques et non testés, l’isolement total de la population étant la seule mesure capable de renverser la situation.

Une autre étude indique que le nombre de personnes infectées pourrait être de 4 à 30 fois supérieur à celui indiqué par les rapports officiels. Autrement dit, si aujourd’hui le gouvernement brésilien garantit qu’il ne teste que les cas pour lesquels une assistance hospitalière est nécessaire et que ses statistiques enregistrent actuellement 2 201 cas, nous pouvons supposer que des dizaines de milliers de personnes sont déjà infectées au Brésil. C’est ce suggère le fait que les deux premiers décès par coronavirus dans le pays étaient des personnes infectées diagnostiquées à titre posthume.

Quel est le rôle des militants anticapitalistes dans une telle situation ?

Enthousiastes, beaucoup de camarades considèrent que la tendance mondiale à l’augmentation des grèves en faveur de la quarantaine serait l’occasion de renforcer les luttes des exploités et de dévoiler le rôle ignoble des patrons qui privilégient leurs profits par rapport à la vie de leurs employés. Mais cet enthousiasme ne doit pas nous amener à adopter des attitudes impulsives, qui pourraient aggraver la situation au lieu de l’améliorer.

C’est pourquoi il est important que nous nous informions autant que possible et que nous diffusions autour de nous des informations sur la manière de faire face à la pandémie. Nous ne devons pas utiliser l’agenda de la contagion pour mettre en place des stratégie militantes comme la tenue d’assemblées de masse parmi les travailleurs (même si c’est dans le but d’une grève) sans adopter en même temps les mesures de distanciation sociale appropriées. Il en est de même pour les actions de rue et les distributions de tracts. Il existe d’autres moyens de communiquer avec les travailleurs dans cette situation, tels que l’utilisation de bannières, de banderoles, de pancartes, d’affiches et affichettes et, bien sûr, les médias virtuels. En cas de contact physique, la distance recommandée est de 2 mètres entre les individus.

Beaucoup de camarades s’interrogent sur l’adoption de ces mesures, et affirment que les travailleurs courent peu de risques en tenant une réunion ou participant à une manifestation, vu qu’ils empruntent tous les jours les transports publics et se rendent sur leurs lieux de travail. Ce type de propos ne favorise que la négligence et l’irresponsabilité, et correspond d’ailleurs à l’état d’esprit des partisans de Bolsonaro qui ont manifesté le 15 mars 2020, à l’attitude du président du Brésil lui-même, ainsi qu’aux divers commentaires qui prennent la défense des individus qui se baignent sur les plages ou s’agglutinent sur les places publiques.

Si les travailleurs eux-mêmes reconnaissent l’urgence de la situation et se battent pour leur vie, à quoi bon les encourager à se réunir, et donc à se retrouver physiquement très proches dans des réunions ou des manifestations et à faire preuve de négligence ?

Seules quelques secondes suffisent pour que le virus se propage. Cette erreur des militants anticapitalistes coûtera des vies, et la seule forme de «démocratie prolétarienne» qui pourrait en résulter serait une démocratie de zombies. Premièrement, en stimulant la coexistence intime avec la mort ; deuxièmement, en voulant mettre en scène des formes d’organisation mortes et stériles dans le contexte actuel de la lutte contre la propagation du virus.

Les militants anticapitalistes ne peuvent pas non plus parier sur leur prétendue capacité à paralyser les lieux de travail, qui est d’ailleurs une posture avant-gardiste. Il ne fait aucun doute que, aujourd’hui, les anticapitalistes constituent une minuscule minorité sans impact sur la vie sociale. La montée des grèves dans le monde, en particulier dans une petite partie de l’industrie et plus récemment dans les centres d’appel, est provoquée par la situation pandémique elle-même, qui se combine avec les recommandations et restrictions gouvernementales, telles que la réduction ou la paralysie des transports publics, qui font pression sur les employeurs pour qu’ils suspendent les activités productives.

Il est fort probable que la plupart des lieux de travail au Brésil n’ont pas besoin de grèves pour paralyser les activités, puisque cette paralysie se révèle être un moyen pour les capitalistes de perdre moins d’argent avec la crise. Les mesures restrictives imposées à une échelle croissante par les gouvernements rendent également impossible le fonctionnement des entreprises. C’est pourquoi des mesures compensatoires sont étudiées et adoptées pour couvrir les pertes des capitalistes et des travailleurs, ce qui est généralement impensable et non souhaité par les gouvernants et les patrons.

Nous devons évidemment soutenir activement les luttes des travailleurs pour le droit à la quarantaine, comme c’est le cas dans les centres d’appel brésiliens. Ces luttes sont aujourd’hui, plus que jamais, des luttes de toute la classe.

Cependant, nous ne pouvons pas analyser la situation comme une irruption de la conscience de classe dans les boîtes où les ouvriers réclament la fermeture de l’entreprise, car la paralysie des activités est également un objectif tactique avancé par les capitalistes. Il suffit de voir ce qui se passe dans l’Union européenne.

De notre point de vue, du point de vue des travailleurs, c’est aussi une lutte pour réduire les pertes dans nos rangs. Tout d’abord, pour réduire les dégâts humains, qui se compteront en morts et en séquelles médicales. Ensuite, pour réduire les dommages résultant de toutes les restrictions et des effets économiques secondaires, qui se produiront nécessairement en chaîne.

Dans un contexte où nous sommes confrontés à de nombreuses limitations pour nous rencontrer en personne et pour exercer nos fonctions productives et où nous serons confrontés à une diminution des revenus et de la consommation, il est illusoire de penser à un scénario favorable à la lutte anticapitaliste. Nous courons bien plus un risque sérieux d’aggravation de la barbarie et de l’individualisme, barbarie et individualisme auxquels nous devrons répondre par la solidarité, l’autodiscipline et des actions réfléchies.

Les militants anticapitalistes ne peuvent pas se placer comme des sujets de droit exclusif face à la pandémie. En effet, outre le risque de contagion qu’ils augmenteront s’ils n’adoptent pas les précautions adéquates, ils peuvent transmettre un mauvais exemple qui démotivera les autres travailleurs, contribuant ainsi à aggraver la situation. Il est urgent d’être ferme pour ne pas briser la fine glace sur laquelle nous marchons et ainsi noyer ceux qui nous entourent.

Notes

[*] Le titre original était «La démocratie des zombies» ou «la démocratie zombie». J’ai préféré choisir une question plus explicite, qui reprend une autre expression employée par les auteurs dans cet article, puisque ce texte s’adresse aux «militants anticapitalistes» brésiliens… ou pas (NdT).

[1] Les auteurs de l’article indiquent dans la version originale leurs nombreuses sources. Ceux que cela intéresse devront donc se référer à l’original portugais et cliquer sur les mots surlignés en rouge (NdT).

[2] Très grosse institution créée par le dictateur populiste Vargas en 1944, c’est aujourd’hui, si l’on en croit ses thuriféraires «une université brésilienne dotée de trois campus : São Paulo, Rio de Janeiro et Brasilia. Institut privé, l’excellent niveau de formation dispensé en Droit et Administration des Affaires attire beaucoup d’étudiants brésiliens et étrangers». Et le site mylittlebrasil de poursuivre «: FGV n’est pas une université comme nous en avons l’habitude en France. Grand bâtiment de 12 étages en plein cœur de la ville de São Paulo, la Fundação est un véritable business center. A chaque étage se mêlent distributeurs, agences bancaires et salles de classe aux couleurs d’une entreprise qui sponsorise l’école. Les partenaires sont affichés dans les couloirs selon leur niveau d’implication. A l’échelle d’une université, on croirait plutôt évoluer au sein d’une école de commerce. Il n’y a pas de cours magistraux dans un amphithéâtre contenant 300 étudiants, mais plutôt des cours de 40 étudiants venant des quatre coins du monde où la participation et la prise de parole sont de mise.» (NdT.)

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