Par Leo Vinicius

«La passivité des travailleurs peut être souvent surmontée parce qu’elle ne fait que refléter l’absence de références politiques et organisationnelles alternatives au syndicat.» (in Devi Sacchetto et Gianni Sbrogiò, Pouvoir ouvrier à Porto Marghera : Du comité d’usine à l’assemblée de territoire (Vénétie – 1960-80), Les Nuits rouges, 2012).

La grève (inter)nationale des livreurs[1] des plateformes de commerce en ligne, organisée par des groupes de coursiers WhatsApp dans certaines villes brésiliennes le 1er juillet 2020, est probablement devenue la plus grande expression de l’autonomie «ouvrière» dans les centres urbains brésiliens au cours des quarante dernières années. Je place des guillemets autour de l’adjectif «ouvrière» parce qu’il ne s’agit pas d’ouvriers proprement dits, mais de travailleurs dans la sphère de la circulation et le secteur des services. En fait, si, dans la période postfordiste, la ville devient une usine diffuse, nous pouvons supprimer les guillemets et nous rappeler également que la sphère de la circulation est clairement devenue un terrain de conflit et de révolte durant ces dernières années.

Bien que les révoltes générées par l’augmentation des tarifs des transports ne soient pas rares dans l’histoire du XXe siècle, la jeunesse a été au centre de mouvements et de révoltes autour de la question des tarifs des transports publics dans les grandes villes brésiliennes dès la première décennie de ce siècle. Plus récemment, le mouvement des Gilets jaunes en France en 2018 et les grandes manifestations et révoltes en Équateur et au Chili en 2019 ont toutes eu pour point de départ le prix des carburants ou des transports. Et, au Brésil, en 2018, la grève des camionneurs a fortement influencé l’imaginaire des livreurs des plateformes numériques.

Auto-organisée en dehors des syndicats, et initiée par des camionneurs indépendants, cette grève de 2018 a cependant produit quelques ambiguïtés, comme l’adhésion apparente des entreprises de transport (qui ont procédé au lock-out), puisque des directives telles que la réduction du prix du diesel ont également favorisé les entreprises. Les camionneurs indépendants ne fournissent pas de services collectivement à une ou même à plusieurs entreprises ; face à l’État et à ses politiques concernant les tarifs des péages et les prix du carburant, ils exigeaient que l’Etat fixe un tarif minimum pour le fret. Cette revendication a rendu difficile que s’établisse une barrière de classe entre patrons et employés. Le mouvement des livreurs des applis, qui jusqu’à présent a connu deux journées nationales de grève (les 1er et 25 juillet 2020), vise directement les plateformes, introduisant une nette coupure de classe entre les entrepreneurs et les travailleurs.

Avant l’apparition des plateformes numériques, les coursiers travaillaient (fournissaient des services) pour d’innombrables employeurs différents, même si chacun d’entre eux ne travaillait individuellement que pour un ou plusieurs patrons. Aujourd’hui, des centaines de milliers de personnes au Brésil travaillent pour seulement quelques plateformes. Dans un sens précis, les plateformes numériques, par le biais des «algorithmes» et des smartphones, ont facilité la concentration politique d’une force de travail jusqu’alors relativement dispersée. Au niveau national et international, ces entreprises unifient les travailleurs qui, sans leur existence, seraient embauchés par de petits patrons. De plus, dans une situation de chômage élevé, une telle concentration pousse davantage les coursiers à accepter une rémunération plus basse de la part de ces petits patrons. Dans les plateformes, le prix minimum pour une tache est au moins (théoriquement) fixé, et il existe un «patron» commun contre lequel se battre. Selon les concepts de l’opéraïsme[2], l’arrivée des plateformes a provoqué un changement dans la composition technique[3] des coursiers, ce qui a eu des conséquences sur leur composition politique[4]. D’autre part, le caractère pratique des applications pour les consommateurs a rendu les coursiers plus présents et plus proches de la vie des consommateurs, augmentant ainsi le potentiel d’empathie et de soutien pour cette catégorie de travailleurs.

Le processus de mobilisation pour la grève du 1er juillet 2020 était déjà en soi une expression de l’autonomie ouvrière comme en témoignent:

  • la communication horizontale entre les livreurs, très différente de celle entre une direction syndicale et une base ;
  • le fait que les livreurs, pour la plupart des coursiers, aient imprimé eux-mêmes des affiches et des tracts et les aient distribués parmi leurs collègues.
  • l’idée que «C’est notre mouvement et nous nous battons pour nous» très présente dans l’imaginaire des livreurs, qui rejetaient explicitement et massivement les syndicats, les partis et les politiciens, dans des villes comme São Paulo, où le mouvement était plus fort.

Cette répudiation des institutions exprime l’autonomie de classe au sens profond du terme et la conscience de ce qui unifie et constitue la classe : les revendications concrètes issues de l’expérience commune du travail.

Les livreurs se sont mobilisés activement dans plusieurs villes, contrairement aux luttes lancées habituellement par les directions des syndicats et au cours desquelles les travailleurs ont généralement un rôle passif. Cette forme autonome et horizontale du mouvement, ou du moins la façon dont il a été perçu, fut certainement fondamentale pour sa diffusion et sa contagion, parmi les livreurs des plateformes et en dehors de ce secteur, et par conséquent pour son impact. N’étant pas entravée par les limites du cadre syndical et juridique, l’imprévisibilité de cette forme de mouvement est en soi l’une de ses forces. Ou plutôt, la prévisibilité des grèves déclenchées par les directions syndicales transforme généralement les grèves syndicales en un simulacre.

Non seulement ce processus de contagion a dépassé la catégorie des livreurs, bénéficiant d’un soutien important de la population, mais il a atteint aussi les villes brésiliennes où les livreurs n’avaient aucune organisation préalable ainsi que les travailleurs des plateformes de plusieurs villes d’Amérique latine, faisant du 1er juillet une journée internationale de grève des travailleurs sur applis.

Ceux qui ont été engagés dans la lutte à São Paulo pourront certainement nous communiquer un récit plus précis et détaillé, mais l’expression de cette autonomie ouvrière s’est produite de manière large, complète et claire dans l’une des trois plus grandes villes occidentales. D’innombrables piquets auto- organisés dans les centres commerciaux et d’autres lieux ont efficacement empêché le retrait des produits, donnant ainsi le ton au 1er juillet à São Paulo. L’adhésion au mouvement, intensifiée par les piquets de grève, a été massive dans cette ville. Bien que l’immense manifestation de coursiers qui a parcouru la ville et occupé l’énorme pont suspendu Octávio Frias de Oliveira ait été l’image la plus médiatisée et la plus visible, le 1er juillet 2020, ce sont les piquets littéralement innombrables (appelés aussi «blocages») qui ont le mieux exprimé cette autonomie, constituant la forme la plus importante de la lutte des livreurs ce jour-là.

La grève du 25 juillet 2020 a été moins suivie. Les livreurs ont montré beaucoup moins d’intérêt pour cette seconde action ; ils ont été moins mobilisés et leur mouvement a eu une capacité moindre de contagion, à l’intérieur et à l’extérieur de ce secteur, que durant la mobilisation du 1er juillet 2020. En tout cas, au moins dans la ville de São Paulo, la grève a été forte, bien que le mouvement du 25 juillet ait davantage ressemblé à une «grève en pyjama[5]», pour laquelle les piquets n’étaient presque plus nécessaires à certains endroits, car fort peu de livreurs travaillaient.

Grâce à son organisation informelle, le mouvement a réussi à émerger comme une alternative aux syndicats. Au moins dans les villes où la grève a été la plus forte, il serait souhaitable qu’il incarne une référence organisationnelle et politique plus structurée, identifiable et pérenne, alternative aux syndicats. Une référence qui, à la différence des syndicats, ne vise pas à représenter les travailleurs, mais plutôt à les mobiliser puisque les livreurs se sont reconnus dans ce mouvement et s’y sont identifiés, car sans mobilisation, toute structure finit en pratique par devenir une nouvelle bureaucratie. Bien sûr, l’objectif doit être de construire une référence mobilisatrice nationale et internationale, telle que l’a préfigurée la grève du 1er juillet.

Il est certain que l’impact économique le plus important sur les entreprises n’a pas été dû aux piquets de grève ni à la grève elle-même, mais à la chute des ventes pendant le conflit. Les patrons ont surtout souffert de la dégradation de l’image de leurs entreprises et de leurs marques. Il n’est pas étonnant que la plus grande et la plus visible d’entre elles, iFood, ait mené une vaste campagne de relations publiques pour tenter de minimiser les dégâts. Si des actions telles que l’organisation horizontale de piquets de grève permettent de construire des relations de coopération et de solidarité opposées aux rapports sociaux qui soutiennent l’exploitation et la domination capitalistes, il ne faut pas négliger, pour des résultats plus immédiats, les actions visant plus directement la marque et l’image de ces entreprises. Les plateformes sont particulièrement vulnérables sur ce point parce qu’elles vendent des services aux consommateurs et que leurs actifs reposent fondamentalement sur une masse considérable de clients.

Obstacles

Dans le cadre d’une lutte active et collective de la classe ouvrière, qui a des répercussions sociales aussi importantes que celles de ce mouvement organisé par les livreurs des plateformes, on peut distinguer plus ou moins clairement les forces antagonistes ainsi que les obstacles à la continuité et à l’expansion d’un mouvement de classe autonome.

Cherchant à organiser un mouvement anti-gréviste, la droite a dénoncé l’«inconscience» des livreurs. A gauche, le risque de fragmentation du mouvement est venu fondamentalement de deux sources. D’un côté, certaines organisations politiques ont brusquement déboulé dans le mouvement, cherchant à le diriger, à l’encadrer, ce qui a conduit à le fragmenter ; d’autant plus que, dans de nombreux Etats et villes, les livreurs rejetaient les discours qui faisaient référence aux courants politiques, discours qui les ont donc écartés potentiellement de la mobilisation. Le second obstacle a été représenté par l’identitarisme de la gauche, ou des militants de gauche, qui ont trouvé dans le discours articulé du coursier Paulo Galo un miroir de leurs propres convictions, en même temps qu’ils ont trouvé dans l’appellation «antifasciste» du groupe Facebook de Galo un symbole évident d’identification. En poussant Galo et les Entregadores Antifascistas (Livreurs Antifascistes) à la tête du mouvement, en leur donnant une énorme couverture médiatique[6] alors qu’en fait ils n’exerçaient qu’une influence insignifiante parmi les livreurs des plateformes, ils ont contribué à créer une tension interne au sein du mouvement, en insérant des éléments politiques (l’«antifascisme», par exemple) qui ont contribué à fragmenter les travailleurs de ce secteur. Il est apparu dans ce processus que la majeure partie de la gauche ne sait pas reconnaître un mouvement de classe ; d’ailleurs elle n’essaie même pas d’en trouver un, puisqu’elle est seulement en quête d’un miroir où puisse se refléter sa propre identité.

Nous ne devons pas non plus oublier le rôle évident des bureaucraties syndicales, qui ne peuvent accepter que leur «base» agisse de manière autonome. Comme nous pouvions nous y attendre, durant le mouvement de juin et juillet 2020 des livreurs des plateformes numériques, les bureaucraties syndicales ont cherché à la fois à utiliser ces luttes autonomes, en «chevauchant le tigre», pour leurs objectifs et intérêts propres, et à miner le mouvement.

La méfiance et l’aversion à l’égard des syndicats, des politiciens et des partis parmi les coursiers de plusieurs villes et États a certes mis en évidence ce potentiel d’action autonome, cette prise en main effective de son destin par la classe ouvrière. Mais elle a aussi montré une fragilité et un élément de tension continue, car de nombreux travailleurs ont confondu le soutien au mouvement proclamé par les syndicats et les courants politiques avec leur participation réelle à l’organisation de ce conflit.

Sur le plan empirique, la conscience de classe était élevée parmi les livreurs, puisque les discussions politiques étaient tenues à distance, et que l’accent était mis sur les questions concrètes de l’expérience de travail commune. D’un côté, l’insuffisante compréhension de la complexité politique et sociale a généré une fragilité qui a pu être utilisée par ceux qui voulaient essayer de fragmenter le mouvement. De l’autre, durant le processus ascendant de mobilisation l’unité a été maintenue par cette conscience de classe pratique, en excluant totalement des discussions les thèmes qui auraient divisé les travailleurs et qui ne concernaient pas la lutte contre les plateformes numériques. En ce sens, le mouvement des livreurs a donné une leçon à la majeure partie de la gauche, qui a oublié ce qu’est l’unité de classe et la conscience pratique de la classe. Pour la majeure partie de la gauche, l’unité de classe se résume au slogan «Que tout le monde me suive, adopte mon idéologie ou vote pour mon candidat.»

Il est également devenu évident qu’un mouvement de classe qui part de l’expérience concrète du travail et de la vie sous le post-fordisme devra combattre non seulement la résistance des entrepreneurs, mais aussi, d’une autre manière, la résistance des institutions étatiques et paraétatiques (les syndicats officiels) constituées à l’époque fordiste-varguiste[7] et de leurs cadres et intellectuels. Le pouvoir constituant d’un tel mouvement devra acquérir une dimension et une force énormes s’il veut vaincre tous ces pouvoirs constitués, et sortir ainsi de la condition postfordiste.

Des coopératives de livreurs ?

L’idée de créer une coopérative a commencé à circuler à la suite de l’ascension puis de reflux de la lutte des livreurs des plateformes numériques. Elle apparaît comme une conséquence des limites et des difficultés des luttes ; et une solution pour échapper à la subordination du travail, à la recherche d’une plus grande autonomie et de meilleures conditions de travail et de vie. Ceux qui ne sont pas dans la peau de ces travailleurs ne peuvent pas, et ne doivent pas, juger leurs choix. Mais il convient d’analyser les conséquences politiques possibles de la création d’une plateforme coopérative de livreurs, puisque l’idée est apparue parmi des coursiers qui ont été très actifs dans la grève et ont joué un rôle dirigeant.

Si nous laissons de côté les limites connues des coopératives en général puisqu’elles opèrent sur des marchés capitalistes, il n’est pas difficile de conclure que des plateformes organisées en coopératives peuvent tout au plus occuper un marché de niche, et avoir une existence marginale. L’effet de réseau, c’est-à-dire le fait que plus les consommateurs et les restaurants impliqués sont nombreux, plus la valeur ajoutée est importante et plus le nombre d’utilisateurs est élevé, est essentiel pour les plateformes. Pour obtenir cet effet de réseau, il faudrait investir d’énormes capitaux, d’autant plus qu’il existe déjà des entreprises bien établies sur le marché. Cela dit, si l’on ne pense qu’à la lutte des livreurs des plateformes dans leur ensemble, la création d’une ou de plusieurs coopératives dans ce secteur aboutirait sans doute au fait que les travailleurs les plus actifs et les plus rebelles, ceux qui ont joué un rôle de premier plan dans les luttes récentes, ne seraient plus employés par des plateformes comme iFood, Rappi, Uber Eats, Loggi, James, etc. Cela conviendrait sans doute à ces entreprises. Mais un tel événement pourra aussi se produire en raison de la rotation permanente de force de travail – et indépendamment du fait que les projets de création de plateformes coopératives se concrétisent… ou pas.

Traduit par Yves Coleman.

Notes :

[1] L’auteur utilise deux expressions en portugais : entregadores (livreurs, terme général pour désigner tous ceux qui livrent des marchandises, quel que soit leur volume) et motoboys (coursiers disposant d’un deux-roues motorisé). En principe, en français, un «livreur» transporte des marchandises plus lourdes, dans un délai plus long et sur une distance plus importante qu’un «coursier» qui, lui, effectue des courses rapides, dans les grandes villes et leur proche banlieue. Néanmoins, le Collectif des… livreurs autonomes de Paris (CLAP) rassemble ce qui serait sans doute au Brésil des motoboys mais aussi des livreurs à vélo. Son représentant utilise alternativement les deux termes sans introduire apparemment de différence entre les deux concepts (cf. https://lvsl.fr/nous-avons-besoin-de-dire-que-les-vies-des-livreurs-valent-plus-que-ca-entretien-avec-edouard-bernasse-secretaire-general-du-clap/ ). Rappelons que, en France comme au Brésil, les «livreurs» ou les «coursiers» des plateformes sont généralement des auto-entrepreneurs et non des salariés [NdT].

[2] Courant né en Italie et qui s’est polarisé autour de quatre revues qui ont défendu des positions relativement différentes : les Quaderni Rossi autour de Raniero Panzieri ; Classe Operaia autour de Mario Tronti et Toni Negri ; Rosso, animée par Negri ; et Senza Tregua. Outre les revues citées, à partir de 1967, ce mouvement se structurera en groupes d’intervention alliant militants extérieurs et noyaux ouvriers combatifs, opposés aux syndicats et aux partis politiques de la Gauche. Les deux exemples les plus significatifs furent ceux de Potere Operaio dans l’Emilie-Vénétie et à Pise. (Pour plus de détails on consultera la lettre d’un lecteur à la fin de cet article : http://www.mondialisme.org/spip.php?article1420.) [NdT].

[3] Composition technique : «analyse du procès de travail, de la technologie, non pas en termes sociologiques, mais comme sanction d’un rapport de force entre les classes. Exemple : fordisme et taylorisme ont d’abord pour but de briser la résistance des ouvriers de métier et de leurs syndicats en imposant un nouveau type de procès de travail. Il convient donc d’analyser en détail les procès de travail, leurs changements, pour comprendre ce que signifie “lutte de classes” : “évidence” marxiste qui ne l’était plus. (Définition extraite du Dictionnaire critique du marxisme dirigé par Georges Labica et Gérard Bensussan, PUF, 1982.) [NdT.]

[4] Composition politique : «au sein de la classe ouvrière, certaines fractions jouent un rôle politique moteur. La classe ouvrière ne se contente pas de réagir à la domination du Capital, elle est en perpétuelle recomposition politique, et le Capital est contraint de réagir par une restructuration continuelle du procès de travail. Il convient donc d’analyser cette recomposition politique, la circulation des luttes.» (Idem.) [NdT.]

[5] Cette expression est habituellement employée pour caractériser certaines grèves des travailleurs du secteur public. «Dans ce genre de grève, les gens arrêtent tout simplement de se rendre sur leur lieu de travail, rien de plus. Ils ne s’organisent pas au sein de leur entreprise et ne remettent pas en cause directement leurs rapports avec les patrons et la hiérarchie de leur boîte. Ils laissent aux dirigeants syndicaux – inévitablement des bureaucrates dans ce contexte apathique – le soin de négocier avec les employeurs une augmentation de salaire et un ou deux avantages supplémentaires. […] Dans ce genre de grève – et nous devons les analyser sans employer un ton moralisateur – les travailleurs trouvent, dans ce simulacre d’action collective un bouclier qui leur évite de s’engager activement et personnellement. En réalité, quand ils font “grève en pyjama”, les travailleurs récupèrent individuellement une partie de l’exploitation de leur travail qui ne leur a pas été payée. Disposant d’un temps libre supplémentaire, sans être obligés ni d’être présents dans l’usine ni de s’engager, les travailleurs en profitent pour prendre soin de leur santé, participer à des activités culturelles, passer plus de temps dans les bars ou les églises, se qualifier pour de nouveaux emplois, etc. Au mieux, [si le patron cède et ne prend pas de mesures de rétorsion], ils récupèrent du temps libre sans perdre d’argent. Si leur salaire n’est pas affecté, quels que soient les autres résultats de la grève, ils sont victorieux. Et les patrons subissent une défaite, parce qu’ils ont dû les payer et n’ont pas pu extraire de plus-value pendant le conflit. Il est évident que tous les travailleurs ne peuvent pas se permettre ce genre de “grève en pyjama”. La plupart d’entre eux doivent organiser des piquets et affronter à la fois les patrons et les autres salariés qui refusent de se joindre aux mobilisations.» (Extrait d’un article de Daniel Caribé, https://passapalavra.info/2015/09/105942/) [NdT].

[6] Cf. par exemple cet article : https://www.uol.com.br/ecoa/reportagens-especiais/lider-dos-entregadores-antifascistas-paulo-galo-lima-quer-comida-e-melhores-condicoes-de-trabalho-para-o-grupo/#cover [NdT].

[7] Varguiste : allusion à Getulio Vargas (1883- 1954). Député du Parlement brésilien en 1922, ministre des Finances, puis gouverneur de l’Etat du Rio Grande do Sul. Battu aux élections présidentielles de 1930, il organise un coup d’Etat et instaure une dictature qui durera jusqu’en 1945, date à laquelle il sera renversé par un putsch. Elu président en 1951, il se suicide trois ans plus tard. Ce dictateur populiste a marqué l’histoire sociale du Brésil et il existe encore aujourd’hui une fondation Getulio Vargas. Comme l’explique Ricardo Antunes, «La longue période pendant laquelle Getúlio Vargas resta au pouvoir (1930-45 et 1950-54) s’ouvrit par ce que l’on a appelé la «Révolution de 1930», un mouvement politico- militaire qui fut plus qu’un coup d’État et moins qu’une révolution (bourgeoise). Ce mouvement et son projet économique industrialisant étaient portés par un État fort et centralisé, surtout après le coup d’État de l’Estado Novo, en 1937, qui lui donna une nette connotation dictatoriale et bonapartiste, et ce jusqu’en 1945, date à laquelle Vargas dut quitter le pouvoir à la suite d’un autre coup d’État. Réélu au suffrage universel en 1950, Vargas forma un gouvernement plus réformiste et moins dictatorial. […] le gétulisme [ou varguisme] fut à l’initiative d’une législation du travail qui joua un rôle important dans la mise en œuvre du projet d’industrialisation. Depuis des décennies déjà, les travailleurs luttaient pour obtenir, entre autres, le droit aux congés, la réduction de la journée de travail, un repos hebdomadaire rémunéré, le droit de grève et la liberté d’organisation. Vargas, en prenant en compte ces revendications portées par la lutte ouvrière, les fit passer pour un don aux travailleurs, assumant ainsi la forme d’un État providence.». Cf. «Les luttes sociales dans la sphère du travail au Brésil . Quelques défis passés et présents», Actuel Marx, 2007/2, n° 42, [NdT].

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