Par Passa Palavra

L’extase des premières heures a confirmé ce à quoi nous nous attendions déjà : la défaite de Bolsonaro et la victoire de Lula aux élections de 2022, anticipée par pratiquement tous les sondages depuis le retour de l’ex-métallo sur la scène électorale. Ce que nous ne pouvions pas prévoir, du moins pas avant le vote du 2 octobre, c’est que cette victoire ne serait que formelle, purement numérique, et que Lula devancerait Bolsonaro de seulement 2,1 millions de voix, soit 1,8% des votes.

Au lieu de contester les résultats des élections et de dénoncer immédiatement l’existence de fraudes, comme il avait affirmé qu’il le ferait, Bolsonaro a commencé par garder le silence. Vu son grand succès lors du vote du 2 octobre, deux voies s’ouvrent à lui : a) la politique habituelle, au parlement, où il dispose du plus grand nombre de sièges, et b) les actions radicales dans les rues. Son silence s’explique par l’existence de cette bifurcation qui lui permet de laisser chaque méthode prendre la préséance sur l’autre dans le cadre d’une sorte de sélection naturelle.

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L’analyse des résultats du vote du dimanche 30 octobre confirme que le bolsonarisme – même sans Bolsonaro à la présidence, et même s’il opte pour la voie institutionnelle et conservatrice – bénéficie d’un soutien populaire beaucoup plus large que nous ne l’avions imaginé.

Lula a gagné dans 3 123 municipalités au second tour ; il y avait 3 376 municipalités au premier tour. En d’autres termes, Lula a «perdu» 253 municipalités, dont 250 ont été «gagnées» par Bolsonaro, laissant 3 municipalités où les deux étaient à égalité. Dans certaines villes, la différence entre les deux était très faible, moins de 0,1%. L’augmentation du nombre de voix recueillies par les deux candidats, en comparant le premier et le second tour, a été plus importante pour Bolsonaro dans tous les États du pays ; et, dans plus d’un État, Lula a perdu des voix : dans l’Amazonas, Lula a perdu 16 300 voix, dans l’Amapá 7 900, dans l’Acre 7.500 et dans le Roraima 1 600. Même dans les États où le nombre de voix de Lula a augmenté par rapport au premier tour, Bolsonaro a réussi à obtenir plus de voix.

Malgré cela, six gouverneurs qui ont soutenu ou déclaré leur soutien à Lula au second tour ont été élus, contre cinq bolsonaristes. Toutefois, cela n’a fait que consolider l’avantage de Bolsonaro, qui a réussi à faire élire huit candidats au poste de gouverneur, contre quatre soutenus par Lula au premier tour. De toute évidence, cette force électorale provient également de l’utilisation sans précédent de la machine publique dans la campagne de Bolsonaro, qui s’appuie sur des pressions patronales, l’achat de votes et divers expédients autoritaires. Et il est possible qu’une partie de cette base institutionnelle de Bolsonaro change de camp par commodité politique.

Cependant, il nous semble clair que le vote du 2 octobre avait déjà anticipé la défaite actuelle, la disparition de la gauche[1], tandis que le vote du 30 octobre, le plus serré depuis la redémocratisation, sert maintenant à activer la base radicale du bolsonarisme.

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Le matin du 31 octobre 2022, la gauche et les «progressistes», encore sous le coup de la gueule de bois après le résultat positif – pour le centre – ont été confrontés dans pratiquement tous les États du pays à des barrages routiers, principalement mis en place par des chauffeurs de camions. Dans certains endroits, ils ont installé des barricades de pneus enflammés ; dans d’autres, ils ont utilisé des camions pour bloquer la circulation, généralement dans les deux sens des autoroutes. Des autocars en provenance de la région du Nordeste[2], la seule où Lula a remporté la majorité des voix dans tous les États, ont été arrêtés et les passagers harcelés.

Les chauffeurs routiers responsables des blocages entendent empêcher le transfert du pouvoir à Lula et faire en sorte que Bolsonaro reste au pouvoir en 2023 ; ils souhaitent se passer de nouvelles élections et, si nécessaire, faire appel à l’intervention des forces armées. Il convient de noter que, sur les messageries privées, les membres du mouvement affirment qu’ils ne se battent pas seulement pour Bolsonaro, mais pour «quelque chose de plus grand», le «futur du Brésil». Les programmes nationalistes et religieux, l’anticommunisme et l’appel à ce que «le Brésil ne devienne pas un nouveau Venezuela» se mêlent à la revendication de maintenir Bolsonaro au pouvoir. Dans un tract circulant sur l’application de messagerie Signal, l’autoproclamé « Mouvement national de résistance civile » affirme avoir pour objectif «l’annulation immédiate des élections, la révocation des responsables du Tribunal supérieur électoral et de la Cour suprême qui favorisent le désordre institutionnel en prenant des décisions illégales, en soutenant ou en exigeant du président de la République l’application de l’article 142 de la Constitution fédérale – concernant la garantie de l’ordre public –, article réglementé par les articles 15 et 16 et la loi complémentaire 97/99». L’article 142 de la Constitution fédérale brésilienne n’autorise évidemment pas l’utilisation des forces armées pour empêcher le transfert du pouvoir d’un président élu à un autre après des élections. Les opérations garantissant le respect de la loi et le maintien de l’ordre, quant à elles, ne peuvent être utilisées que contre «des tentatives ou des actes potentiels susceptibles de compromettre la préservation de l’ordre public ou de menacer la sécurité des personnes et des biens». En d’autres termes, pour que cet instrument répressif soit utilisé conformément à son objectif légal et constitutionnel, il faudrait qu’il soit appliqué contre les barrages des bolsonaristes.

En fait, les manifestations actuelles avaient déjà été évoquées  avant le second tour dans des groupes bolsonaristes sur les réseaux sociaux, y compris par des militaires de réserve, sans la participation d’organisations impliquées dans la grève des chauffeurs routiers de 2018. Ce fait a été souligné par les dirigeants de cette grève, tels que Wallace Landim, alias « Chorão », président de l’Association brésilienne des conducteurs de véhicules à moteur (ABRAVA), Carlos Alberto Litti Dahmer, directeur de la Confédération nationale des travailleurs du transport et de la logistique (CNTTL) et José Roberto Stringasci, président de l’Association nationale des transports du Brésil (ANTB), qui ont reconnu la victoire de Lula et se sont opposés aux blocages.

Face à ces deux lignes d’action possibles, Bolsonaro a apparemment cherché à tester la force des actions radicales dans les rues, en reproduisant la même tactique employée par les chauffeurs routiers en 2018, bien que sans le soutien de leurs dirigeants syndicaux. Il convient de rappeler que les mouvements putschistes parrainés par Bolsonaro tout au long de sa présidence ont été progressivement réprimés par le pouvoir judiciaire, et qu’ils ont eu un impact bien moindre sur la politique, l’économie et la vie quotidienne que la grève des chauffeurs routiers il y a quatre ans.

Cette grève, qui se déroula entre le 21 mai et le 30 mai 2018, avait eu de forts impacts économiques à l’époque, entraînant une baisse de 38,7% des exportations quotidiennes et de 31,8% des importations quotidiennes. En outre, elle avait provoqué une baisse de 20,2 % de la production de véhicules légers, de camions et de autocars ; elle avait également engendré des pénuries de produits de première nécessité, entraînant une augmentation moyenne des prix de 1,11 % entre mai et juin, et une réduction des projections de croissance économique, de 2,46% à 1,76 % (projections confirmées par la suite, lorsqu’une croissance de 1,8 % fut constatée pour cette année-là). Elle avait enfin conduit à une augmentation de 23,3% du risque-pays et, par conséquent, à une détérioration du taux de change. En conséquence, le gouvernement Temer [2016-2018] fut mis à genoux et dut satisfaire pratiquement toutes les revendications des chauffeurs routiers.

À la fin de sa présidence, se voyant à nouveau isolé, puisque des membres importants de son gouvernement commençaient à préparer la transition – dont surtout le ministre de la Maison civile, Ciro Nogueira, l’une des principales figures du soi-disant Centrão[3] qui planifiait la transition avec Geraldo Alckmin, le vice-président de Lula – Bolsonaro a semblé essayer de relancer des manifestations ayant le même impact économique que la grève de 2018, tout en pesant les inconvénients et les avantages d’opter pour la radicalisation ou des méthodes plus conservatrices. S’il ne stimule pas directement ces mouvements de protestation, en revanche, il ne leur impose aucun obstacle et observe le cours des événements. Le fait est que, pendant la campagne électorale, le président a essayé de renforcer ses liens, dernièrement affaiblis, avec les chauffeurs routiers, comme il l’avait réussi pendant la grève de 2018, ce qui lui avait assuré un fort soutien de cette catégorie sociale lors des élections de cette année-là. En outre, Bolsonaro a créé une aide de 1000 reais (200 euros) pour les chauffeurs routiers et a anticipé son versement en octobre, en essayant ainsi de s’assurer le soutien de ces travailleurs et petits patrons lors des élections de cette année. Si cela n’a pas suffi à engendrer une nouvelle mobilisation parrainée par les organisations représentant les chauffeurs routiers, pour défendre son maintien au pouvoir, les actions des partisans de Bolsonaro sur les réseaux sociaux ont tenté de dynamiser une mobilisation sans le soutien de ces organisations.

Les manifestations actuelles des chauffeurs routiers clarifient un élément qui n’était pas clair pour une partie de la gauche en 2018, y compris pour nous, à Passa Palavra : cette grève unissait les intérêts corporatifs des chauffeurs routiers – catégorie formée, d’une part, de travailleurs salariés et, d’autre part, de petits entrepreneurs indépendants, communément appelés «indépendants» au Brésil – avec les intérêts des entreprises de transport, dont beaucoup sont liées à l’agrobusiness ; cette relation  explique le mélange, à l’époque comme aujourd’hui, de revendications pragmatiques des routiers avec des thèmes chéris par l’extrême droite. En 2018, nous avions même envisagé la possibilité[4] que, sur la base de ces revendications pragmatiques et corporatives, un virage à gauche se produise dans les mobilisations, ou alors que prenne forme une convergence avec les mobilisations d’autres catégories de travailleurs. Ces attentes ont été rapidement et évidemment déçues, puisque la convergence entre travailleurs et employeurs, grands ou petits, tend toujours à orienter les mobilisations vers la droite, et non vers la gauche.

Le résultat est qu’aujourd’hui, une fois de plus, la politisation de la catégorie des chauffeurs routiers/chauffeurs routiers ?? donne lieu à des mobilisations de nature fasciste ; il ne s’agit pas de porter l’extrême droite au pouvoir, mais de tenter d’empêcher son éviction du pouvoir. Au lieu d’affecter les rapports de travail dans le secteur des transports, en clarifiant la ligne qui sépare horizontalement les travailleurs des patrons, cette politisation n’a fait que renforcer la solidarité verticale entre travailleurs et patrons, et a servi à doter le bolsonarisme d’une capacité d’intervention économique, comme cela se vérifie en ce moment.

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Dans la nuit du lundi 31 octobre 2022, le nombre de barrages routiers a atteint son maximum, avec 421 points d’obstruction. Avant la déclaration de Bolsonaro, qui a eu lieu le mardi 1er novembre 2022, il y avait 235 barrages. La police routière fédérale, qui, lors du scrutin du 30 octobre, a tenté d’empêcher les électeurs, en particulier ceux de la région du Nordeste, d’atteindre les lieux de vote, en effectuant au moins 549 opérations éclair et en arrêtant au moins 610 autocars, n’a fait qu’accompagner les blocages, quand elle n’a pas ouvertement fraternisé avec les manifestants. Dans un discours adressé au mouvement, un officier de police a été filmé en train de dire aux manifestants : « Nous sommes tous dans le même bateau. Nous sommes avec vous», concluant par un conseil peu subtil aux manifestants de résister pendant 72 heures, car durant cette période Bolsonaro ne pourrait pas s’exprimer. Dans un autre épisode, des agents de la police routière d’un État ont été filmés en train d’effectuer un salut militaire envers les manifestants. Dans des déclarations à la presse, la police routière fédérale a prétendu qu’elle attendait une décision de justice pour dégager les autoroutes, afin d’essayer ainsi de dissimuler sa collaboration avec les blocages ; dans le même temps, sur Twitter, elle annonçait la localisation des barrages et des routes qui avaient été dégagées, coordonnant ainsi, sur le plan logistique, les actions des manifestants pour qu’ils bloquent davantage de routes. En d’autres termes, l’axe exogène du fascisme[5] attendait l’aval du patronat pour poursuivre l’escalade putschiste, convergeant avec l’axe endogène qui faisait pression par le bas.

Alors que les décisions de justice ordonnant le déblocage des autoroutes se multipliaient, le police routière fédérale a agi différemment selon les endroits : à Palhoça, une municipalité de l’État de Santa Catarina, par exemple, même après une décision de justice prise à la demande du gouvernement de l’État, le police routière fédérale a quitté les lieux sans disperser les manifestants et sans libérer l’autoroute BR-101. À Luziânia, une municipalité de l’État de Goiás, la police routière fédérale a même utilisé des grenades lacrymogènes pour dégager l’autoroute BR-040, mais quelques heures plus tard, les manifestants ont recommencé à bloquer les voies et la police a quitté les lieux, se contentant de les observer de loin. La Cour suprême fédérale (STF) a confirmé les décisions du ministre Alexandre de Moraes, qui a ordonné le déblocage des routes et autorisé le déploiement des policiers militaires au niveau des États, ce qui, ajouté à plusieurs autres décisions de la justice fédérale dans différents États, a accru la pression sur la police routière fédérale, accusée d’omission, l’amenant à demander le renforcement de la Force nationale de la sécurité publique[6]. A São Paulo, la troupe de choc de la police militaire a été utilisée le 2 novembre pour débloquer l’autoroute de Castelo Branco. Au total, la police militaire de São Paulo affirme avoir procédé à 147 déblocages jusqu’au 2 novembre à 6 heures du matin. Les bolsonaristes, quant à eux, ont pu maintenir des poches de résistance ou lancer d’autres blocages après avoir été dispersés, au point qu’il existe toujours des blocages dans 11 des 27 États de la fédération brésilienne.

Les répercussions économiques ont été ressenties immédiatement. Les blocages ont entraîné, par exemple, la paralysie des activités des usines de conditionnement de la viande, notamment dans l’État du Mato Grosso, responsable de 16% de la production nationale. Selon un représentant du secteur, toutes les entreprises dans cet État ont vu leur production affectée de 50 %, et les pertes ont varié entre 20 000 et 200 000 reais par jour d’arrêt, selon les cas (entre 4 000 et 40 000 euros). Les conséquences se sont également déjà fait sentir dans l’industrie laitière, qui avait enregistré en 2018 une perte estimée à 1 milliard de reais (200 millions d’euros), avec 300 millions de litres de lait jetés. Un autre secteur déjà touché est celui des supermarchés puisque 70% des établissements ont été affectés dans au moins 7 États brésiliens. Et tout indique que la poursuite des blocages touchera d’autres services et d’autres industries, ce qui aura un impact considérable sur la vie et la santé de la population, notamment les services de santé : l’Association brésilienne de l’industrie chimique (ABIQUIM) et l’Association brésilienne de médecine diagnostique (ABRAMED) ont mis en garde contre le risque de manquer d’oxygène, de réactifs et de produits de contraste. Les blocages ont également affecté la production de vaccins, les transports aériens, les stations-service ; ils ont entraîné la fermeture d’usines d’assemblage de véhicules, affecté le flux des matières premières utilisées dans le bâtiment et causé plusieurs autres problèmes.

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Il est important de souligner la nature hétérogène et relativement diffuse des groupes bolsonaristes qui organisent les barrages routiers. Les dirigeants locaux, actifs sur les réseaux sociaux, donnent des consignes aux manifestants et coordonnent les activités, y compris la logistique de réception des dons (nourriture, eau, etc.). Des patrons et des Églises ont fourni, par exemple, des toilettes chimiques et des tentes pour distribuer de la nourriture et des conserves aux manifestants. Il s’agit, en fait, de véritables campeurs et des familles entières sont engagées dans les blocages.

Lorsque les premières décisions judiciaires ont commencé à ordonner la dispersion des manifestations, l’identification des participants et l’application d’amendes aux responsables, ces mesures ont été accueillies avec calme par les manifestants, parce qu’ils doutaient que les autorités compétentes se conforment à ces ordres et répriment le mouvement. Cependant, lorsque l’ordre est venu du ministre Alexandre de Moraes, du Tribunal suprême fédéral, qui a ordonné aux policiers militaires des différents États de prendre des mesures pour mettre fin aux barrages routiers, et a ordonné aux autorités responsables de réagir à d’éventuels cas d’omission d’exécution des ordres, la réaction a été beaucoup plus vive. Devenu l’ennemi juré du bolsonarisme, Moraes a provoqué l’indignation dans les groupes bolsonaristes, les encourageant à réclamer encore davantage la «fin de la dictature du Tribunal suprême fédéral».

Les manifestations et la résistance bruyantes de ces groupes face à la répression policière ont contrasté, dans un premier temps, avec le silence du président. Du haut de sa position à la tête de l’État, Bolsonaro observe les événements tandis que, à la base, ses alliés se divisent en deux camps :

  • d’un côté, une partie de sa famille, comme le sénateur Flávio Bolsonaro et la première dame Michelle, se montre fataliste et certains de ses alliés du Centrão décident de collaborer au processus de transition ;
  • de l’autre, des personnalités proches de Bolsonaro déclarent soutenir ou encourager les blocages. Carla Zambelli, congressiste bolsonariste, fait l’objet d’une enquête pour avoir porté une arme à feu la veille du vote du second tour et avoir poursuivi un homme qui l’aurait provoquée dans la rue : dans un premier temps, elle a reconnu la défaite de son président, mais elle a ensuite commencé à promouvoir les blocages et la désobéissance aux ordonnances judiciaires. Zé Trovão, un ancien chauffeur de camion élu député fédéral, et Gustavo Gayer, un influenceur bolsonariste élu député fédéral, ont adopté la même attitude. Nikolas Ferreira, un autre influenceur, député fédéral ayant obtenu le plus grand nombre de voix à ce poste en 2022, a également publié une déclaration interprétée par les chauffeurs routiers comme un signe d’approbation des manifestations : «Le soldat qui part à la guerre et a peur de mourir est un lâche.»

Le niveau de délire dans les groupes bolsonaristes est tel qu’ils ont prétendu que le silence du président était dû aux exigences mêmes de l’article 142 de la Constitution fédérale. Si Bolsonaro se prononçait en faveur du mouvement, affirment les contestataires bolsonaristes, l’intervention militaire ne se concrétiserait pas, parce que «la Constitution exige que l’intervention ne se fasse que par la volonté libre et spontanée du peuple, sans direction institutionnelle». Toutefois, ont-ils ajouté, si Bolsonaro s’opposait publiquement aux blocages, les manifestants, qui se qualifient de «résistance civile», continueraient à descendre dans la rue en faveur de la prise de pouvoir par les militaires.

Après 44 heures de silence, Bolsonaro a fait une déclaration ambigüe qui a duré seulement deux minutes ; selon lui, les «manifestations pacifiques» sont les bienvenues, à condition qu’elles n’appliquent pas les «méthodes de la gauche», «l’invasion des bâtiments, la destruction du patrimoine et la limitation du droit d’aller et venir». Dans la nuit du 2 octobre 2022, le président a fait une nouvelle déclaration, qui a semblé être une concession à sa base conservatrice au détriment de sa base radicale. Cependant, il a maintenu l’ambiguïté en demandant le déblocage des routes, tout en légitimant les mobilisations et en les encourageant à se poursuivre dans d’autres lieux, comme les places, ce qui a renforcé le mouvement déjà initié par une partie des manifestants, d’aller manifester devant les casernes.

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En tout cas, malgré le fait que des centaines de routes aient été dégagées et malgré les déclarations ambiguës du président, les bolsonaristes, comme on l’a vu plus haut, ont montré leurs capacités de résistance. Et les manifestants ont anticipé les obstacles possibles à l’expression politique sur les réseaux sociaux et les autres plateformes des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Conscients de la possibilité d’une interdiction des groupes sur WhatsApp et Telegram, beaucoup savent qu’ils doivent migrer vers Signal et/ou utiliser un logiciel VPN garantissant l’anonymat. Ils affirment qu’il est nécessaire de privilégier le cryptage, la discrétion et le dynamisme ; en cela, ils sont plus habiles que les organisations de gauche, qui, au Brésil, ont l’habitude de négliger les pratiques de sécurité.

Pour sa part, la gauche (ou du moins ses derniers vestiges) est divisée entre ceux qui supposent que la victoire de Lula sera une victoire facile, car ils croient qu’un coup d’État peut être arrêté par les «institutions», et ceux qui suivent attentivement les événements. Les perturbations causées par les barrages ont toutefois forcé la population à agir, comme cela a été le cas lors d’un barrage routier à São Mateus, dans l’État d’Espírito Santo, où les gens ont démoli les barricades et réussi à libérer une route ; ou à Angra dos Reis, où des travailleurs ont réagi après leur journée de travail ; ou encore le cas significatif de supporters organisés qui ont fait évacuer différents barrages afin de suivre leurs équipes. Les quelques menaces proférées par une partie de la gauche ont été rapidement condamnées par le reste de la gauche. D’une manière ou d’une autre, la gauche, paralysée, regarde le fascisme déployer ses ailes et elle s’accroche aux «institutions démocratiques». En fait, cette ligne est cohérente avec ses actions durant ces dernières années : même lorsqu’elles considéraient qu’elles subissaient un coup d’État, ou qu’un génocide était en cours, ou que le fascisme arrivait au pouvoir, ces organisations se contentaient d’affirmer que les institutions de l’État devaient fonctionner correctement.

Le 30 octobre annonce-t-il des jours meilleurs ? Ou un désastre calculé ?

Notes

[1] Cf. les articles traduits par nos soins : Passa Palavra : «A la veille des élections du 30 octobre 2022, pourquoi nous avons déjà perdu» https://npnf.eu/spip.php?article967 ; Enrique Fagner : «Élections brésiliennes 2022 : Ci-gît “ la gauche ” aux pieds de Lula» https://npnf.eu/spip.php?article963 ; et João Bernardo : «Retour à Lulalá» (mars 2021) https://npnf.eu/spip.php?article968 (NdT).

[2] Les 9 États du Nordeste,  région la plus pauvre et la moins industrialisée du Brésil, s’étendent sur une superficie trois fois égale à celle de la France et ils abritent environ 53 millions d’habitants soit à peu près un quart de la population totale (NdT).

[3] Terme inventé à la fin des années 1980 pour désigner non pas le Centre mais un groupe de partis politiques conservateurs, clientélistes, «attrape-tout» et dépourvus d’orientation idéologique spécifique (NdT).

[4] https://passapalavra.info/2018/05/119975/

[5] Manolo : «Fascisme à la brésilienne ? Les axes exogènes du fascisme»
https://npnf.eu/spip.php?article964 (NdT).

[6] La FNSP (Força Nacional de Segurança Pública) regroupe la police militaire, les pompiers militaires, les officiers de police civile (délégués, agents et greffiers) et des experts (NdT).

Traduit en Français par Yves Coleman et publié ici,à partir de l’original en portugais publié ici.

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