Il se passe actuellement beaucoup de choses en Afrique qui exigent notre attention et un positionnement de toute la gauche, mais surtout du mouvements noir. Il est toutefois surprenant de constater comment ce dernier -dans les blogs, les sites web et les profils collectifs sur les réseaux sociaux -est resté silencieux ou, au mieux, a timidement rapporté ces faits, sans procéder à des analyses plus approfondies ou même superficielles.

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Commençons par la lutte sociale la plus évidente en Afrique actuellement, dans l’ancienne colonie britannique du Nigeria.

Contrairement à ce que laisse croire le récit qui circule dans ces milieux -beaucoup moins éloquent que leur silence, d’ailleurs -la lutte au Nigeria qui remonte à 2017 mais a redémarré en octobre de cette année (2020) ne peut être définie de manière générale comme une lutte desNoirs contre la violence policière. Elle ne peut être comparée avec la lutte contre les violences policières dans les pays où les Blancs sont majoritaires aux postes de pouvoir, dans les espaces publics et privés, comme aux États-Unis ou au Brésil. Car ces positions, au Nigeria, sont occupées par des Noirs, qui exploitent et oppriment violemment la classe ouvrière locale, soumise à l’exclusion sociale et à une pauvreté colossales. Il ne s’agit donc pas d’une violence policière générique, qui unirait les Noirs dans une lutte contre le racisme générique, mais d’une violence policière et d’un racisme qui profitent spécifiquement à une élite noire.

Contre cette lutte, l’État nigérian réagit violemment, non seulement en tirant sur des manifestants pacifiques et en faisant plusieurs morts, mais aussi en tirant sur des personnes étrangères à ces manifestations et en envahissant leurs maisons pour les tuer, en emprisonnant des centaines de personnes, en imposant des couvre-feux et en envisageant de bloquer l’internet et de censurer les réseaux sociaux.

Le climat de révolte et les difficultés matérielles ont amené la population nigériane à envahir et à piller des entrepôts contenant des denrées qui, dans un contexte d’inflation et de chômage élevé, auraient déjà dû être distribuées. Le gouvernement se défend en prétendant qu’il s’agissait de locaux abritant des réserves pour la deuxième vague de la Covid-19, mais les manifestants affirment que le gouvernement avait l’intention de les revendre.

Des manifestations ont également lieu dans un autre pays, l’Angola, l’un des plus grands exportateurs de pétrole au monde, dont la population très pauvre est soumise à la violence policière, au chômage, à l’inflation et à une véritable kleptocratie. La Covid-19 a aggravé ces problèmes. En conséquence, plusieurs manifestations ont éclaté ces derniers mois -maintenant interdites par le gouvernement qui prétend ainsi contenir la propagation du nouveau coronavirus -avec de nombreuses arrestations et personnes blessées. Mercredi dernier, qui correspondait ironiquement à la date du 45eanniversaire de l’indépendance, a eu lieu une nouvelle manifestation, avec une nouvelle répression violente et l’assassinat d’un manifestant. Pour l’un des militants impliqués dans les manifestations, «alors que certains veulent parler et dialoguer, d’autres se mettent à tirer […]Le principal responsable moral est le président de la République […]On ne peut pas tourner autour du pot.»

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Comme si les difficultés actuelles ne suffisaient pas, les habitants des zones rurales septentrionales du Nigeria sont également victimes de la violence de personnes -noires comme elles -qui sont favorables à l’établissement d’un régime encore plus oppressif, les membres de Boko Haram. Une récente dépêche d’une agence de presse rapporte ce que de nombreux Nigérians sont contraints d’endurer dans cette région : «ils [les gens de Boko Haram] ont attaqué le village de Kumari […]tuant quatre villageois pendant leur sommeil […]; ils n’ont pas utilisé d’armesà feu pour éviter d’alerter les soldatsd’une ville voisine […]. La région a également été la cible de tirs répétés et d’attentats-suicides […]; des sources affirment que les djihadistes ont brûlé vif trois personnes et enont découpé en morceauxunequatrième dans un autre village, alors qu’elle était encore en vie ;[…]deux paysans ont également été tués alors qu’ils travaillaient dans les champs et plusieurs autres ont été pris en otage».

Cette situation n’existe cependant pas seulement au Nigeria. Les nouvelles récentes sur le Mozambique nous donnent une idée de ce que cela représente d’être pris en tenailles entre une élite autochtone oppressive et exploiteuse et une insurrection djihadiste encore pire. Plus de cinquante personnes ont été décapitées dans le nord du Mozambique par des militants djihadistes. Les militants ont installé une estrade sur le terrain de football d’un village, où ils ont décapité et découpé en morceaux les corps. Plusieurs personnes ont également été décapitées dans un autre village. Ces décapitations sont les dernières d’une série d’agressions que les militants mènent depuis 2017, à Cabo Delgado, province riche en gaz naturel.

Plus de 2 000 personnes ont été tuées et environ 430 000 ont été déplacées par le conflit dans la région à majorité musulmane. Les militants sont liés à l’État islamique, ce qui lui donne un point d’appui en Afrique australe. Le groupe a exploité la pauvreté et le chômage pour recruter des jeunes dans sa lutte pour établir un État islamique dans la région. De nombreux habitants se plaignent de n’avoir que peu profité des retombées des industries du rubis et du gaz dans la province.

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Mais les Africains ne souffrent pas seulement de l’exploitation, des gouvernements autoritaires etcorrompus et des groupes paramilitaires : ils souffrent aussi de la xénophobie et du racisme noir contre les Noirs. Si la défense des Africains qui cherchent à se réfugier en Europe -et des immigrés qui y sont victimes de racisme -est très répandue à gauche, la défense des réfugiés ou des immigrés africains victimes de racisme en Afrique même ne suscite pas autant d’intérêt. Le problème persiste.

Bien que le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, ait envoyé une mission dans plusieurs pays africains l’année dernière pour les rassurer et réaffirmer l’engagement de l’Afrique du Sud «envers les idéaux d’unité et de solidarité panafricaines», la situation est différente, comme le montre cette information récente : «Les autorités sud-africaines disent avoir commencé à expulser 20 réfugiés et immigrés qui ont participé à un sit-in pendant plusieurs mois pour protester contre la xénophobie. Ils sont pour la plupart originaires de pays africains et ont demandé à être réinstallés en dehors de l’Afrique du Sud. Cesimmigrés ont expriménotammentle souhait d’aller s’installer au Canada, a déclaréle ministère sud-africain des Affaires intérieures. Le sit-in a débuté devant le bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au Cap,en octobre 2019. Des centaines de personnes ont participé à la campagne, qui a duré cinq mois, une église leur servant de refuge. À l’époque, les immigrés ont déclaré qu’ils ne se sentaient pas en sécurité à cause des agressionsxénophobes qu’ils subissaient dans les villes sud-africaines, et qu’ils étaient maltraités et discriminés. Depuis 2008, plusieurs flambées de violence xénophobe contre les étrangers du reste du continent ont éclaté dans plusieurs villes du pays. Les immigrés sont généralement attaqués dans les communautés où ils vivent, accusés de s’approprier des emplois et des ressources.»

Isolés, persécutés et massacrés chez eux, discriminés et maltraités par d’autres Africains lorsqu’ils cherchent asile ou refuge dans d’autres pays… L’Afrique produit ses propres naufragés. Seront-ils en sécurité quelque part ? C’est à la gauche et aux travailleurs du monde entier de créer les conditions pour qu’ils puissent rester, en luttant avec des actes et des paroles qui se projettent au-delà des frontières, contre toutes lesinstitutions responsables de les transformer en parias et en apatrides. Malheureusement, nous en sommes loin.

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A ces problèmes s’ajoutent les instabilités politiques et sociales liées aux conflits électoraux, dans lesquels des groupes politiques rivaux stimulent les conflits ethniques pour conquérir le pouvoir ou s’y maintenir.

Par exemple, la Côte d’Ivoire est une gérontocratie où les disputes entre de vieux politiciens amènent les jeunes à s’entretuer. L’actuel président du pays, Alassane Ouattara, après la mort de l’homme choisi pour lui succéder en juillet, a décidé de se présenter pour un troisième mandat, prétendant qu’un changement de la Constitution durant son mandat lui donnait le droit de rester au pouvoir pour deux autres mandats. Le Conseil constitutionnel local a approuvé la manœuvre et a en même temps empêché 40 des 44 candidats de l’opposition de se présenter, dont un ancien président, Laurent Gbagbo, qui est accusé de crimes contre l’humanité et doit répondre devant la Cour pénale internationale.

Ouattara a interdit les manifestations; il a participé aux élections boycottées par l’opposition qui a appelé la population à la désobéissance civile, et il a finalement été réélu. 21% des bureaux de vote sont restés fermés et certainsont été détruits, les manifestants bloquant le vote dans d’autres, au milieu de conflits ethniques qui ont causé des dizaines de morts et la fuite de 3 600 personnes au Libéria. L’un des candidats de l’opposition, l’ancien président du pays, Henri Konan Bédié, a vu sa maison encerclée par des soldats et plusieurs de ses partisans ont été arrêtés ; Bédié lui-même a été détenu dans une prison privée par la police, qui a également attaqué les journalistes présents.

Le Conseil constitutionnel du pays, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et l’Union africaine ont validé les élections.

En Tanzanie, le président sortant, John Magufuli -qui nie l’existence de la pandémie aux côtés de Bolsonaro, Loukachenko, Trump et autres politiciens -, a été réélu lors d’élections frauduleuses, alors que son parti a obtenu suffisamment de sièges pour abolir la limite des mandats fixée par la Constitution. Après s’être vu refoulé par l’ambassade américaine, l’un des leaders de l’opposition a été arrêté dans le quartier des ambassades européennes, puis interrogé par la police, tandis que les diplomates allemands l’attendaient devant leur bâtiment.

Pendant ce temps, Cyril Ramaphosa a félicité Magufuli pour les «élections pacifiques» qui s’étaient tenues dans sonpays, tandis que la Communauté de l’Afrique de l’Est, en tant qu’observateur, leur donnait son blanc-seing. Parmi les dirigeants africains et dans les organismes multilatéraux du continent la tendance est par conséquent de favoriser les présidents en exercice : l’autoritarisme local est donc soutenu par la Communauté des États africains elle-même.

Enfin, nous ne pouvons omettre de mentionner le cas de l’Éthiopie, où un conflit vient d’éclater et qui pourrait conduire à une guerre de grande ampleur, dont lacause immédiate est le différend entre le Premier ministre, Abiy Ahmed Ali, prix Nobel de la paix, et la province du Tigré, dominée par le Front populaire de libération du Tigré (FLPT), parti qui a dominé le pays jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Abiy à la suite des importantes protestations de l’ethnie oromo en 2018.

Abiy a dissous la coalition sur laquelle était fondé le gouvernement et a fusionné les partis (qui la composaient et représentaient les différents groupes ethniques du pays) en une seule organisation, le Parti de la Prospérité, auquel le FLPT a refusé de se joindre. Le gouvernement a commencé à exclure les 4membres du FLPT du pouvoir et a reporté les élections en raison de la Covid-19, prolongeant ainsi le mandat d’Abiy. Pendant ce temps, s’opposant au report du scrutin, la province du Tigré a organisé des élections locales, considérées comme illégales par Abiy, qui a ensuite bloqué l’accès du FLPT aux ressources fédérales. Enfin, une attaque contre une base militaire, attribuée par Abiy au FLPT, mais à propos de laquelle le Front nie toute implication, a servi de prétexte au déclenchement de la campagne militaire désormais lancée contre le Tigré, utilisant l’artillerie lourde et les frappes aériennes.

Ce qui aggrave la situation, c’est qu’Abiy est confronté à un conflit contre les séparatistes de l’Oromia [1] , sa propre province, et qu’il essaie d’étouffer d’autres protestations partout ; dans ce scénario, il y a eu des massacres, principalement d’Amharas, un autre groupe ethnique du pays. Et les forces liées au FLPT, selon des témoins entendus par Amnesty International, qui a également eu accès à des images, ont attaqué des civils – «des travailleurs n’ayant aucune implication dans le conflit» -avec des couteaux et des machettes dans le sud-ouest du Tigré, entraînant la mort de nombreuses personnes, peut-être des centaines.

Comme si cela ne suffisait pas, le conflit menace de conduire plusieurs pays de la Corne de l’Afrique à la guerre : les forces du Tigré, par exemple, ont confirmé le tir de plusieurs missiles sur Asmara, la capitale de l’Erythrée, qui soutient le gouvernement central éthiopien ; d’autre part, environ 25 000 réfugiés éthiopiens ont déjà franchi la frontière soudanaise. Enfin, la construction d’un barrage en Éthiopie, qui menace de réduire le débit du Nil vers le Soudan et l’Égypte, complique encore la situation.

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Tant que la gauche, et en particulier le mouvement noir, ne combinera pas la lutte contre l’oppression et l’exploitation dans un pays avec la lutte contre l’oppression et l’exploitation dans tous les autres, il sera impossible d’internationaliser les luttes anticapitalistes et antiracistes. Rien ne nous séparera davantage de ceux qui mènent ces combats en Afrique que notre refus de tenir compte de leur nature réelle-c’est-à-dire de les analyser comme des luttes du prolétariat autochtone contre les oppresseurs et les exploiteurs autochtones -ou de les passer sous silence ou de les mentionner de manière vague et générique (en les présentant par exemple comme des luttes contre la violence policière).

Il en va de même lorsque le mouvement noir célèbre le règned’anciens souverains africains, qui ont poursuivi leurs propres politiques impérialistes et/ou imposé leurs propres formes d’exploitation du travail, ou lorsqu’ilrefuse de critiquerdes traditions locales. Decette façon aussi, nous nous éloignons du prolétariat en lutte en Afrique.

C’est la direction qu’a prise le mouvement noir. Nous sommes donc confrontés à une énorme contradiction : ceux qui soutiennent que les objectifs spécifiques des Noirs doivent avoir plus de visibilité sont aussi ceux qui accordent le moins de visibilité aux luttes spécifiques du prolétariat africain face à ses propres bourreaux, luttes qui s’inscrivent dans le cadre global de la lutte dela classe ouvrière contre les capitalistes dans le monde entier. Enfin, l’articulation entre le particulier et le général, l’internationalisation des luttes, et la méthode même d’analyse de ces luttes, n’ont jamais été plus urgentes et nécessaires, mais beaucoup ont préféré tourner le dos à l’Afrique.

Une exception mérite d’être mentionnée : la position du groupe Quilombo Vermelho qui, dans une récente lettre-programme, a écrit: «La lutte antiraciste qui se développe aux États-Unis est menée contre Trump et les républicains, mais elle doit aussi faire face à la tentative de cooptation des démocrates, car nous n’avons pas oublié que c’est sous legouvernement d’Obama que Black Lives 5Matter a émergé; que laviolence policière contre les Noirs n’a même pas diminué et que des dizainesde pays ont été bombardés par le gouvernementObama. Nous ne luttons pas pour mettre davantage de Noirsau pouvoir, pour gérer la barbarie capitaliste, pour avoir des Noirs parmi les grands milliardaires de cemonde, alors que lagrande majorité de notre peuple est abandonnéedans la misère et la faim. Nous ne combattons pas pour être mieux “représentés” dans lesentreprises capitalistes, pendant que perdurentl’exploitation et l’oppression de la grande majorité de l’humanité.»

A l’exception du groupe que nous venons de citer, les militants de gauche et les activistes du mouvement noir en général ne cherchent pas à analyser ces problèmes et à assumer une position politique sur ce sujet -internationaliste et antiraciste -qui est pourtant indispensable pour la lutte anticapitaliste.

Passa Palavra (17/11/2020, https://passapalavra.info/2020/11/135096/)

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Débat:

Enrique : Récemment, ce site a publié un texte [2] qui abordait, entre autres, la manière dont le régime tchétchène cherche à contrôler les Tchétchènes de la diaspora. Une nouvelle publiée aujourd’hui brosse un tableau très similaire, non pas en Europe mais en Afrique, au Rwanda.

L’article ci-dessus analyse brièvement les «luttes du prolétariat indigène contre les oppresseurs et les exploiteurs autochtones» dans certains pays africains, mais c’est un sujet sans fin qui pourrait occuper de très nombreuses pages, si cela ne dépendait pas des mouvements identitaires, bien sûr.

Les preuves sont là pour qui veut les voir: elles démontrent comment le remplacement des capitalistes blancs par des capitalistes noirs, et des gouvernants blancs par des gouvernants noirs bouleverse tout… pour que tout reste pareil.

Cependant, pour certains, il s’agit de la «révolution» elle-même. Un chroniqueur de la Folha de Sao Paulo, par exemple, a écrit il y a deux jours, à propos des résultats des élections municipales brésiliennes du week-end dernier, que «la gauche est vivante dansles corps noirs et trans qu’elle a élus», et que «la révolution commence en étant noire et trans»; il conclue que «les vents que soulève l’espoir emportent les corps noirs, trans, vers le centre du pouvoir. Ce qui pour les autres est une identité, pour nous est l’existence même […]Et ce n’est que le début. Lorsque ces corps se déplacent au centre de la politique, nousavançons tous. Nous avançons en sachant que le bolsonarisme, affaibli, et le centre et la droite traditionnels, renforcés, sont à l’affût».

En fait, ce journaliste n’a pas tort, dans la mesure où la «révolution» identitaire, le fascisme radical d’aujourd’hui, ou l’aile gauche du fascisme d’aujourd’hui, ne pourra s’affirmer qu’en procédant à trois opérations simultanées :

1) détruire tout vestige d’anticapitalisme et d’internationalisme dans la classe ouvrière ;

2) écarter le fascisme national-populiste conservateur de dirigeants comme Bolsonaro, en prenant sa place ;

et 3) construire comme adversaire une droite traditionnelle contre laquelle se projeter.

Le chroniqueur de la Folha de Sao Paulo a synthétisé, peut-être grâce à un acte manqué, la dynamique même de la montée du fascisme identitaire, qui se développe en ce moment, devant nous, partout. Au moins l’opération numéro 1 a été menée à bien.

La classe ouvrière peut-elle se débarrasser de cette autre variante du fascisme ? Si cela dépend de la majorité de la gauche et de la conception de la lutte antiraciste qui y prédomine, la réponse est malheureusement non.

João Bernardo : Nous-Passa Palavra et ceux qui critiquent ici les identitarismes -, nous n’inventons rien, nous répondons aux situations existantes. Quand Passa Palavra, dans l’article sur «Le racisme des Noirs contre les Noirs» en Afrique, montre que «le racisme et la xénophobie n’ont pas de couleur» ou quand je critique, dans mon essai sur «L’autre face du racisme [3]»), la biologisation de la culture opérée par le mouvement noir, nous n’inventons rien, parce que ce sont les racistes noirs eux-mêmes, africains ou pas, qui le disent.

Je citerai plus longuement l’article de Thiago Amparo, que Fagner mentionnait dans son commentaire : «Il y a eu 25 candidatures trans élues en 2020, selon l’Antra (Association nationale des travestis et transsexuels). Des victoires ont également été observées dans des villes de taille moyenne […].Les Noirs ont brisé le plafond de verre à Curitiba, avec l’élection de la première conseillèrenoire, Carol Dartora, par le Parti des travailleurs. La veuve de Marielle Franco [4], Monica Benício, a été élue à Rio, avec l’appui des quartiers noirs de Tainá de Paula et de Thais Ferreira, un quilombo [5] de la banlieue de São Paulo, ce qui est vraimentr top. Plusieurs candidates soutenues par l’Institut Marielle Franco ont été élus en dehors du Brésil. Ce sont les Marielleet les Dandara [6] présentes, élues qui incarnent les voix des foules pour une politique radicale, parce qu’elle est authentique. La révolution commence en étant noire et trans.»

Mais Thiago Amparo omet la situation des homosexuels en Afrique et lapratique des mutilations génitales féminines. Il y a deux jours, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Suisse pour avoir extradé vers la Gambie un citoyen de ce pays qui avait demandé l’asile en 2008 parce qu’il était homosexuel ; les autorités suisses avaient rejeté sa demande au motif que la situation des homosexuels s’était améliorée en Gambie. Le problème ne se pose pas seulement en Gambie, il concerne pratiquement tous les pays africains. Dire que «la révolution commence en étantnoire et trans» est un mensonge, car le fait que l’Afrique soit noire n’empêche pas ces sociétés de persécuter les homosexuels et les transgenres.

Pourquoi, alors, une telle hypocrisie ? Parce qu’elle sert d’outil à ceux qui -quelle que soit la couleur de leur peau et leurs préférences sexuelles -veulent convaincre leurs semblables que cela suffit pour défendre tout le monde. Non, ce n’est pas suffisant, comme le montre l’Afrique.

Ainsi, le silence du mouvement noir face à ce qui se passe en Afrique montre qu’il est du côté des dirigeants africains et non du côté de leurs victimes. A la suite de mon article «Classe / Identités [7]», un commentateur a ironiquement écrit : «Félicitations à l’auteur, et à Passa Palavra pour avoir mis en lumière ce processus si mauvais qui aboutit à ce que des Noirs intègrent les élites !» Dans certains cas, il s’agit d’un dialogue de sourds, mais ce n’est pas le cas ici. Nous avons affaire à une syntonie, nous sommes en quelque sorte sur la même longueur d’onde. Nous les accusons de prétendre être de nouvelles élites. Et ils prétendent être de nouvelles élites. La confrontation politique ne peut pas être plus claire.

Enrique : Ces deux camps, ou plutôt, ces deux visages d’un même camp, ont su fragmenter politiquement la classe ouvrière et même les capitalistes, en profitant et en approfondissant la grave crise que traversent leurs institutions les plus traditionnelles, et en essayant de faire converger la pratique politique des deux classes, soumise à cette fragmentation, vers un projet de pouvoir nettement raciste et sexiste et quasi totalitaire. Bien sûr, cette fragmentation a aussi d’autres racines : l’expansion de la souveraineté des entreprises transnationales; la fragmentation des chaînes de production; la démoralisation et l’épuisement des principaux partis de gauche et de droite; la diminution de la pertinence des syndicats en tant que mécanismes pour contenir les luttes et les convertir en de véritables entreprises; la conversion rapide des mouvements sociaux en mécanismes servant à l’ascension des nouveaux gestionnaires; la diffusion de l’économie informelle et de la sous-traitance; le fractionnement des processus de travail en modalités matérielles et immatérielles, etc. L’important est que ces deux visages du fascisme ont contribué à cette fragmentation et à ce goulet d’étranglement, en se faisant bien sûr concurrence. Et au lieu de chercher des solutions à ces problèmes et d’essayer de refonder une politique qui articule anticapitalisme, internationalisme, antiracisme, anti-machisme et anti-impérialisme, les personnes qui ont été à l’avant-garde des luttes anticapitalistes ont contribué à la formation d’un populisme identitaire raciste et sexiste.

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Autres articles du site Passa Palavraen français http://npnf.eu/spip.php?rubrique149

Notes

[1] Cette région compte 26,5 millions d’habitants(soit un peu plus d’un quart de la population éthiopienne),44,3% de musulmans et 41,3% de chrétiens. Les Oromos représentent 85% de la population de cette province et les Amharas 9,1% (NdT).

[2] «Persister dans l’erreur?» http://npnf.eu/spip.php?article796 (NdT).

[3] http://npnf.eu/spip.php?article783 (NdT).

[4] Marielle Franco (1979-2018), femme politique, militante du PSOL (trotskyste), sociologue, défendant les droits humains et LGBT, assasinée par d’ex-militaires sous l’ordre de trois députés du MDB, le parti du président Terner (NdT).

[5] Quilombo: communauté d’esclaves en fuite (NdT).

[6] Dandara, guerrière et stratège, compagne de Zumbi das Palmares, dirigeant d’une république dissidente regroupant environ 20 000 esclaves évadés, Amérindiens, mulâtres et Blancs libres à la fin du XVIIesiècle, au nord-est du Brésil. Son mari fut décapité et elle se jeta dans le vide du haut d’une falaise plutôt que d’être arrêtée (NdT).

[7] http://npnf.eu/spip.php?article634 (NdT).

Traduit en français par Yves Coleman et publié sur http://npnf.eu/spip.php?article807

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