Par Prometheus Freed

Récemment, un groupe d’auteurs (Michael Löwy, Bengi Akbulut, Sabrina Fernandes et Giorgos Kallis) a publié un article[1] dans lequel ils cartographient les points communs entre l’éco-socialisme et la décroissance, et ils proposent à la fin de leur texte ce qu’ils ont appelé la décroissance éco-socialiste. Cet article, bien qu’essentiellement politique, révèle certaines des contradictions qui règnent au sein de l’éco-socialisme, et l’objectif de mon bref commentaire est d’expliciter ces éléments contradictoires, en visant à les dépasser. Toutefois, en comptant sur la patience du lecteur, je voudrais commencer par justifier pourquoi il est nécessaire de critiquer et de dépasser l’éco-socialisme : les idées sont mobilisatrices et constituent une médiation entre les êtres humains et la réalité. Malheureusement, l’éco-socialisme parvient à mobiliser, par ses idées et ses actions, divers individus honnêtes qui sont préoccupés par la transformation totale et radicale des rapports sociaux existants. Cependant, en se rattachant à l’éco-socialisme, ces personnes finissent par se limiter elles-mêmes en ne percevant pas les véritables intérêts qui se cachent derrière cette idéologie. Ainsi, si des doutes surgissent chez le lecteur à propos de l’éco-socialisme, l’objectif politique que j’ai poursuivi en rédigeant ce texte sera rempli, car il est avant tout nécessaire de susciter le doute. De omnibus dubitandum est ! (Il faut douter de tout !). L’article des auteurs que je vais critiquer a pris le format de huit thèses et, par conséquent, je vais citer chacune d’entre elles et proposer des commentaires critiques après chacune d’elles.

I – Le capitalisme : un mode de production à croissance limitée ?

«1. Le capitalisme ne peut exister sans croissance. Il exige une expansion permanente de la production et de la consommation, l’accumulation du capital, la maximisation du profit. Ce processus de croissance illimitée, fondé depuis le XVIIIe siècle sur l’exploitation des combustibles fossiles, nous conduit à la catastrophe écologique et au changement climatique. Il menace de conduire à l’extinction de la vie sur la planète. Les vingt-six conférences des Nations unies sur le changement climatique qui se sont tenues au cours des trente dernières années ont montré l’absence totale de volonté des élites dirigeantes d’arrêter cette marche vers l’abîme» (Löwy, Akbulut, Fernandes, Kallis).

 

Dans cette première thèse, les auteurs commencent par nous informer que le capitalisme doit développer la production et la consommation, l’accumulation du capital et maximiser les profits afin de continuer à exister. Ce besoin d’expansion, à son tour, finira par produire une «catastrophe écologique» et un «changement climatique», qui menacent la vie sur la planète Terre. Nous sommes d’accord avec l’affirmation selon laquelle le capitalisme doit se développer et s’étendre pour maintenir sa propre existence, mais nous pensons qu’il est plus exact de dire que «la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner sans cesse les instruments de production, donc les rapports de production, et avec elle tous les rapports sociaux» (Marx et Engels, Manifeste communiste). Certes, la croissance capitaliste est censée être illimitée, mais concrètement, elle ne l’est pas.

Plusieurs limites s’imposent à cette croissance, l’une d’entre elles est certainement la nature, mais c’est surtout le prolétariat, qui tend à se radicaliser tout au long du processus historique du capitalisme et qui met en échec les rapports de production bourgeois. Détruire la nature afin d’accumuler du capital engendre des difficultés dans la vie des êtres humains, mais, simultanément, l’accumulation de capital elle-même engendre ce qui peut potentiellement abolir les rapports de production bourgeois – le prolétariat révolutionnaire.

Nous ne nions pas que l’accumulation capitaliste puisse menacer l’existence humaine, car la tendance à l’autonomisation du prolétariat peut se produire tardivement et la destruction de la nature être si intense que la vie sur la planète sera menacée. Cependant, cette menace ne deviendra une réalité que si l’ensemble de la classe prolétarienne ne devient pas autonome et ne détruit pas les rapports sociaux bourgeois. Par conséquent, nous devons contribuer à ce que cette autonomisation du prolétariat devienne une réalité concrète, car c’est seulement ainsi qu’il est possible d’abolir le mode de production capitaliste et la destruction environnementale qu’il engendre, puisque l’existence du prolétariat induit avant tout l’existence d’un fossoyeur du capitalisme.

 La première thèse finit par cacher que l’intérêt de la bourgeoisie est d’accumuler du capital et que cet intérêt, au-delà de la destruction de l’environnement, engendre une classe qui peut potentiellement devenir révolutionnaire. Quand les auteurs affirment que le «capitalisme» ne peut exister sans croissance, ils cachent que cette «croissance» n’est rien d’autre que l’exploitation accrue du prolétariat par la bourgeoisie (la lutte des classes) et que cette exploitation accrue engendre aussi une destruction accrue de l’environnement. Cette dissimulation permet de faire passer l’idée que la «croissance» signifie que le «capitalisme» dévore la nature, alors qu’en fait l’augmentation de la destruction de l’environnement se produit lorsque la bourgeoisie augmente l’exploitation du prolétariat, afin de lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit moyen.

 II – Décroissance éco-socialiste ou autonomisation du prolétariat

«2. Toute véritable solution alternative à cette dynamique perverse et destructrice doit être radicale, c’est-à-dire s’attaquer aux racines du problème : le système capitaliste, sa dynamique fondée sur l’exploitation et l’extraction, et sa recherche aveugle et obsessionnelle de la croissance. La décroissance éco-socialiste est une des solutions alternatives qui s’opposent directement au capitalisme et à la croissance. La décroissance éco-socialiste nécessite l’appropriation sociale des principaux moyens de (re)production et la mise en place d’une planification démocratique, participative et écologique. En d’autres termes, les principales décisions concernant les priorités de la production et de la consommation seront prises par les gens[2] eux-mêmes afin de satisfaire les besoins sociaux réels, en respectant toujours les limites écologiques de la planète. Cela signifie que les gens, à différentes échelles, exerceront un pouvoir direct en déterminant démocratiquement le contenu, la quantité et la forme de la production, ainsi qu’en définissant la manière de rémunérer les différents types d’activités productives et reproductives qui assurent notre subsistance et celle de la planète. Garantir un bien-être équitable pour tous ne nécessite pas de croissance économique. Cela exige un changement radical dans la façon dont nous organisons l’économie et distribuons la richesse sociale» (Löwy, Akbulut, Fernandes, Kallis).

 

Dans cette deuxième thèse, nos chers éco-socialistes présentent la solution alternative à la croissance illimitée du capitalisme : la « décroissance éco-socialiste ». La décroissance éco-socialiste affronte le capitalisme et sa croissance en s’appropriant les moyens de production et en mettant en place une «planification démocratique, participative et écologique». En principe, tous les «gens» participeront aux décisions concernant ce qu’il faut produire, comment le produire et pour quoi faire, et ces mêmes «gens» décideront comment rémunérer les différentes « activités productives et reproductives ». Mais qui sont ces «gens» qui décideront de la quantité et de la forme de la production ? les bourgeois ? les prolétaires ? ou les bourgeois avec les prolétaires ? Et cette «rémunération» des activités signifie-t-elle que l’argent, la marchandise, le travail salarié existeront encore, donc que cette planification démocratique se déroulera… sous le capitalisme ?

 L’erreur essentielle de cette thèse provient de l’occultation des luttes de classe dans la thèse précédente. Qui s’appropriera les «moyens de (re)production» et mettra en place une «planification démocratique» ? Nous voici perdus dans les limbes. Les éco-socialistes s’approprieront-ils eux-mêmes les moyens de production et installeront-ils par un décret de loi une «planification démocratique» toujours au sein du capitalisme ? Malheureusement, les auteurs ne mentionnent pas le prolétariat, et ne disent rien de la révolution prolétarienne. Le capitalisme subsistera, mais sera-t-il possible de mettre en pratique la « décroissance éco-socialiste » ? Cette décroissance éco-socialiste en vient à prendre la place du prolétariat comme agent révolutionnaire : combattre la «croissance» capitaliste mettra fin au mode de production capitaliste lui-même. Le moteur de l’histoire, sous le capitalisme, devient, pour les éco-socialistes, le combat entre la croissance et la décroissance.

III – Planification démocratique ou planification par les éco-socialistes ?

«3. Une diminution significative de la production et de la consommation est écologiquement indispensable. La première mesure, la plus urgente, consiste à éliminer progressivement les combustibles fossiles. Il en va de même pour la consommation ostentatoire et gaspilleuse de l’élite constituée par les 1% les plus riches. D’un point de vue éco-socialiste, la décroissance doit être comprise en termes dialectiques : de nombreuses formes de production (comme les centrales à charbon) et de services (comme la publicité) doivent non seulement être réduites, mais effectivement supprimées ; certains secteurs industriels, comme les voitures particulières ou l’élevage de bétail, doivent être considérablement réduits ; mais d’autres doivent encore être développés : l’agriculture agroécologique, les énergies renouvelables, les services de santé et d’éducation, etc. Pour des secteurs comme la santé ou l’éducation, ce développement doit avant tout être qualitatif. Et même les activités les plus utiles doivent respecter les limites de la planète. Il ne peut y avoir de production “illimitée” d’un bien quelconque» (Löwy, Akbulut, Fernandes, Kallis).

 

Cette troisième thèse est à la fois éclairante et révélatrice. Dans un premier temps, dans la thèse n° 2, nos éco-socialistes ont affirmé que les «gens» participeront aux décisions concernant la quantité et la forme de la production. Cependant, dans cette troisième thèse, les auteurs nous présentent des décisions toutes faites et achevées : il faut « éliminer «progressivement les combustibles fossiles », et il en serait de même pour la consommation des « 1% les plus riches » (cela signifie donc qu’il y aurait encore des riches, mais qu’il faudrait aussi éliminer progressivement leur consommation ostentatoire et leur gaspillage). Il faudrait également supprimer et réduire certaines «formes de production», et en développer d’autres, comme « l’agriculture agro-écologique, les énergies renouvelables, les services de santé et d’éducation », etc. Nous sommes obligés d’en déduire que les «gens» évoqués dans la deuxième thèse et qui participeront activement aux décisions ne seront autres que les éco-socialistes eux-mêmes, puisque, jusqu’ici, ils n’ont rien dit de la révolution, mais finissent néanmoins par énoncer ce qui doit être fait et énumérer des décisions déjà prêtes qui attendent seulement d’être exécutées. Jusqu’à présent, il nous semble que les auteurs nous proposent une «période de transition» déguisée sous des termes écologiques. Les éco-socialistes planifieront ce qu’il faut produire et comment le produire, tandis que le prolétariat continuera à se soumettre au travail aliéné et à l’exploitation capitaliste, jusqu’à ce que la décroissance éco-socialiste mette fin au «productivisme».

IV – Un capitalisme d’État… mais de couleur verte

«4. Le socialisme “productiviste”, tel que pratiqué dans des pays come l’URSS, est une impasse. Il en va de même pour le capitalisme “vert” prôné par les grandes entreprises ou les “partis verts” officiels. La décroissance éco-socialiste est une tentative de surmonter les limites des expériences socialistes et “vertes” du passé» (Löwy, Akbulut, Fernandes, Kallis).

 

Craignant que leur thèse précédente ne dévoile les similitudes entre la décroissance éco-socialiste et le capitalisme d’État en URSS, nos auteurs se sentent obligés de préciser qu’ils n’ont pas les mêmes idées que Lénine, Trotsky et Staline. En fait, l’URSS aurait été une «impasse» parce qu’elle était «productiviste». Cette «expérience socialiste» doit être dépassée par la décroissance éco-socialiste ; en clair, la dictature du parti bolchevique sur les travailleurs, ainsi que la continuité de l’extraction de la plus-value dans ce pays n’ont pas été déterminantes pour que cette « expérience socialiste » soit une «impasse», mais, au contraire, c’est parce qu’elles étaient «productivistes» que leur échec a été attesté. Nos éco-socialistes souhaitent réellement une «période de transition» (la dictature de quelques-uns sur les travailleurs) ; cependant, cette période de transition, contrairement à ce qui s’est passé en URSS, se préoccupera également de l’environnement. Les éco-socialistes veulent donc un capitalisme d’État… mais de couleur verte et non rouge.

 

V – Nord et Sud ? Impérialisme et subordination ?

«5. Il est bien connu que le Nord global est historiquement responsable de la plupart des émissions de CO2 dans l’atmosphère. Les pays riches devraient donc se tailler la part du lion dans le processus de décroissance. Mais nous pensons que le Sud global ne devrait pas essayer de reproduire le modèle productiviste et destructeur du Nord en matière de “développement”, mais plutôt chercher une approche différente qui donne la priorité aux besoins réels des populations en termes de nourriture, de logement et de services de base, plutôt que de simplement extraire toujours plus de matières premières (et de combustibles fossiles) pour le marché mondial capitaliste, ou de produire toujours plus de voitures pour les minorités privilégiées» (Löwy, Akbulut, Fernandes, Kallis).

 

La thèse 5 en révèle un peu plus sur cette période de transition appelée «décroissance éco-socialiste». Les pays capitalistes impérialistes seront les plus responsables du processus de décroissance et les pays capitalistes subordonnés seront moins responsables, mais ils n’adopteront pas un « modèle productiviste ». Une fois de plus, nous notons que la décroissance se produira toujours au sein du capitalisme, avec un marché mondial capitaliste, des minorités privilégiées et une division entre les pays du Nord (capitaliste impérialiste) et les pays du Sud (capitaliste subordonné). Ce numéro de jonglage pour justifier la décroissance amène les éco-socialistes à dissimuler les luttes de classes, rendant possible l’impossible : mettre en pratique la décroissance au sein du capitalisme. Cependant, s’ils prétendaient que la décroissance se produirait après que le prolétariat révolutionnaire eut détruit les rapports de production bourgeois, et que l’association des producteurs libres et égaux eut décidé ce qu’il faut produire et comment en fonction des besoins réels des êtres humains, puisqu’il n’y aurait plus d’accumulation du capital, les éco-socialistes ne pourraient pas contrôler l’État ou le prolétariat, ce qui est leur véritable intérêt ! Ici, le désintérêt pour la révolution et l’intérêt pour le contrôle deviennent un peu plus clairs. A tel point que, une fois de plus, ils énumèrent des décisions toutes faites en attente d’exécution.

VI – Un pas en avant, deux pas en arrière

 

«6. La décroissance éco-socialiste implique également la transformation, par un processus de délibération démocratique, des modèles actuels de consommation – par exemple, en mettant fin à l’obsolescence programmée et à la logique des biens non réparables ; en transformant les modes de transport – par exemple en réduisant fortement le transport de marchandises par bateau ou camion (grâce à la relocalisation de la production), ainsi que le trafic aérien. En bref, l’objectif est bien plus vaste qu’un simple changement des formes de propriété : il s’agit d’une transformation civilisationnelle, d’un nouveau “mode de vie” fondé sur des valeurs de solidarité, de démocratie, d’égaliberté[3] et de respect de la Terre. La décroissance éco-socialiste est le signe d’une nouvelle civilisation qui rompt avec le productivisme et le consumérisme pour privilégier la réduction du temps de travail, et donc plus de temps libre à consacrer aux activités sociales, politiques, récréatives, artistiques, ludiques et érotiques» (Löwy, Akbulut, Fernandes, Kallis).

 

Lorsque les auteurs commencent à en dévoiler trop, ils doivent reculer un peu pour que leurs véritables intérêts n’apparaissent pas clairement et restent dans l’obscurité. C’est pourquoi ils ont recours à de belles phrases pour nous faire croire que la décroissance éco-socialiste ne débouchera pas sur une dictature de quelques-uns sur la classe ouvrière, mais un régime tout à fait démocratique. Par exemple, la population pourra délibérer démocratiquement sur l’obsolescence programmée, le transport des marchandises, etc. Pourtant, si les marchandises existent toujours, c’est-à-dire s’il existe des biens matériels qui possèdent une valeur d’usage mais aussi une valeur d’échange, cela signifie que le capital et les capitalistes existent toujours, ainsi que les prolétaires et la plus-value. Si l’extraction de la plus-value par la bourgeoisie sur le prolétariat existe toujours, sera-t-il possible d’exiger la réduction de la journée de travail ou l’abolition de l’obsolescence programmée ?

Il est impossible, au sein du capitalisme, de mettre en pratique de tels discours. Tout d’abord, il faut que l’association des prolétaires liquide les rapports de production bourgeois pour que cela devienne possible. Mais alors il n’y aura plus de marchandises, car plus de valeur d’échange, plus de bourgeois et de prolétaires, plus d’État, plus de plus-value, etc. Pour les éco-socialistes, la décroissance tombera du ciel, car la bourgeoisie et le prolétariat accepteront ensemble que tout cela soit mis en pratique, sans révolution préalable. Pour nos auteurs, de même, le mode de production n’engendre pas un mode de consommation. En fait, nous pouvons changer le mode de consommation sans transformer radicalement le mode de production.

 

VII – Adieu au Manifeste communiste

«7. La décroissance éco-socialiste ne peut triompher que dans le cadre d’une confrontation avec l’oligarchie des industries fossiles et les classes dominantes qui contrôlent le pouvoir politique et économique. Qui est le sujet de cette lutte ? Nous ne pouvons vaincre ce système sans la participation active de la classe ouvrière urbaine et rurale, qui constitue la majorité de la population et qui doit déjà supporter les maux sociaux et écologiques du capitalisme. Mais nous devons également élargir la définition de la classe ouvrière pour inclure ceux qui assurent la reproduction sociale et écologique, les forces qui sont aujourd’hui à l’avant-garde des mobilisations socio-écologiques : les jeunes, les femmes, les peuples indigènes et les paysans. Une nouvelle conscience sociale et écologique émergera à travers le processus d’auto-organisation et de résistance active des exploités et des opprimés» (Löwy, Akbulut, Fernandes, Kallis).

 

Après nous avoir présenté six thèses qui n’ont rien à dire sur le prolétariat et la révolution, les éco-socialistes sont enfin obligés d’évoquer ce chantier. Mais ils doivent en parler de manière à ce que leurs intérêts soient préservés. Vu leur petit nombre, nos éco-socialistes ne peuvent affronter seuls ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui, c’est-à-dire les bourgeois du capitalisme privé. Il faut que quelqu’un affronte les bourgeois privés pour que les éco-socialistes se transforment en une bourgeoisie bureaucratique dans un capitalisme d’État écologiquement correct. Il est donc nécessaire que ceux qui constituent la majorité de la population participent activement à cette lutte contre les bourgeois du capitalisme privé. Les agents de cette lutte sont les travailleurs, compris dans un sens large, incluant «les jeunes, les femmes, les peuples indigènes et les paysans». Dans leur empressement à rassembler un soutien pour leur lutte contre la bourgeoisie privée, les éco-socialistes, qui aspirent à former la bourgeoisie bureaucratique au sein du capitalisme d’État, appellent pratiquement toute la population à se battre pour eux et en leur nom. Le Manifeste communiste est ici enterré une fois pour toutes et les éco-socialistes s’exclament sarcastiquement : «LES ÉCOSSOCIALISTES NE S’ABAISSENT PAS A DISSIMULER LEURS OPINIONS ET LEURS PROJETS. ILS PROCLAMENT OUVERTEMENT QUE LEURS BUTS NE PEUVENT ÊTRE ATTEINTS QUE PAR LE RENVERSEMENT VIOLENT DE L’ENSEMBLE DE LA BOURGEOISIE PRIVÉE. QUE LES BOURGEOIS PRIVÉS TREMBLENT À L’IDÉE D’UNE DÉCROISSANCE ÉCO-SOCIALISTE ! LES ÉCO-SOCIALISTES N’ONT RIEN À Y PERDRE QUE LEURS PHRASÉOLOGIES DÉPASSÉES. ILS ONT UN MONDE DE CAPITALISME D’ÉTAT À Y GAGNER. CLASSES INFÉRIEURES DE TOUS LES PAYS, BATTEZ-VOUS POUR NOUS ! [4]»

VIII – Cela ne suffit pas

«8. La décroissance éco-socialiste fait partie de la grande famille des autres mouvements écologiques radicaux et anti-systémiques : l’écoféminisme, l’écologie sociale, le Sumak Kawsay[5] (le «bien vivre» indigène), l’environnementalisme des pauvres, la Blockadia[6], le Green New Deal[7] (dans ses versions les plus critiques), etc. Nous ne cherchons pas à obtenir une quelconque primauté ici – nous pensons seulement que l’éco-socialisme et la décroissance partagent un puissant cadre de diagnostic et de pronostic capable de compléter les perspectives de ces mouvements. Le dialogue et l’action commune sont des tâches urgentes dans la conjoncture dramatique actuelle.»

 

Dernier mot de nos éco-socialistes : «les classes inférieures ne suffisent pas, nous devons également faire appel à l’ensemble du mouvement écologique. D’où la correction: MOUVEMENT ÉCOLOGIQUE ET CLASSES INFERIEURES DE TOUS LES PAYS, LUTTEZ POUR NOUS !»

[1] La version originale a été publiée en anglais : https://monthlyreview.org/2022/04/01/for-an-ecosocialist-degrowth/ et elle a été traduite en français, notamment ici : https://www.terrestres.org/2022/10/06/pour-une-decroissance-ecosocialiste/ (NdT).

[2] Le terme utilisé par les auteurs en anglais est people qui, suivant, le contexte peut signifier «les gens», «les personnes» ou parfois «le peuple», concept interclassiste plus connoté, même s’il est imprécis. Le traducteur français cité dans la note précédente a d’ailleurs choisi de traduire people par «le peuple» ce qui permet de tirer ces thèses vers le discours de… La France insoumise ! J’ai préféré, comme Prometheus Freed dans sa traduction en portugais, conserver l’ambiguïté du texte originel (NdT).

[3] Egaliberté : concept inventé par Etienne Balibar (NdT).

[4] Pour ceux qui n’auraient jamais lu le Manifeste du parti communiste, le texte se termine ainsi : «Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social traditionnel. Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste! Les prolétaires n’ont rien à y perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !»

[5] Sumak Kawsay: expression quechua et mode de pensée censé être en relation avec la culture ancestrale des communautés indiennes d’Amérique du Sud. Ce terme est inscrit dans les Constitutions de l’Équateur et de la Bolivie et donne lieu à des interprétations à la fois opposées et confuses, comme en témoigne cet article universitaire : https://journals.openedition.org/cal/8287   (NdT).

[6] Blockadia : terme désignant les mouvements qui s’opposent aux nouveaux projets de l’industrie des combustibles fossiles. Cf. la carte de ces actions dans le monde : https://ejatlas.org/featured/blockadia (NdT).

[7] Green New Deal : nom donné à des projets d’investissement massifs aussi bien aux Etats-Unis que dans le cadre de la Commission européenne de l’UE, et qui toucheraient (s’ils étaient mis en œuvre) des domaines aussi divers que la rénovation des bâtiments, la restructuration des industries énergétiques et des activités agricoles, le développement des chemins de fer, le déploiement des énergies renouvelables, la reconversion de la main-d’œuvre dans les filières impactées par la transition énergétique, etc. Bref, ces projets étatiques gigantesques supposeraient, par exemple, la nationalisation sans indemnisation des grandes entreprises pétrolières et gazières ainsi qu’une diminution drastique des dépenses militaires, mesures totalement irréalisables dans le cadre des grandes économies capitalistes actuelles sans l’intervention d’une révolution sociale (NdT).

Traduit par Yves Coleman et publié ici: https://npnf.eu/spip.php?article976, de l’original en portugais publié ici: https://passapalavra.info/2022/06/144658/

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